27 02 ‘ 2023 museomag
alors qu’ils sont sensés s’adonner librement à une phase
d’exploration, sans se brimer, sans avoir à songer que
ce qu’ils créent alors est susceptible d’être conservé.»
Lorsque les frères Michels ont entrepris la démarche
de créer une succession, ils auraient aimé pouvoir
recourir à un vadémécum réunissant les best practices
en la matière, recensant les dos and don’ts suivant
un langage clair et accessible. Frank précise: «Cela
m’aurait été d’un grand secours de disposer d’un guide
des bonnes pratiques et m’aurait certainement évité de
frapper à autant de portes avant de définir ma propre
idée de la voie à suivre…»
Par-delà le volet matériel, il y a le volet émotionnel,
relève le frère aîné avec un trémolo dans la voix: «Il
n’y a pas plus émotionnel comme démarche lorsqu’on
a été si proche de l’artiste: on a intimement vécu son
parcours, vu comment il travaillait, quels artistes il
fréquentait, dans quelles circonstances et à quelles
étapes de son parcours. Chaque œuvre recensée,
chaque cahier de notes nous renvoyait à un épisode
de vie… C’est tout un patrimoine émotionnel qui nous
a traversés…»
Alors que la production artistique au Luxembourg a
explosé ces dernières décennies, comment envisager
la conservation du patrimoine culturel? Suivant quels
critères normatifs?
La fille du peintre Gust Graas est dans la salle et
prend la parole. «Mon père a toujours dit de son
vivant: quand je serai mort, vous serez face à un sacré
problème. En effet, nous nous sommes retrouvés avec
trois ateliers sur les bras dont un en Espagne avec
plus de mille tableaux, autant de dessins et des tas
de livres de sa plume. Nous avons d’abord fait une
présélection d’œuvres, contacté des musées pour
voir s’ils avaient un intérêt d’acquisition, réalisé un
inventaire photographique, contacté le Lëtzebuerger
Konschtarchiv pour accéder aux archives dans la presse
mais voilà, on est loin d’avoir constitué notre œuvre.»
Elle confesse avoir même fait le tour de diverses
institutions pour céder gratuitement des tableaux mais
que les réactions furent très diverses, de l’indifférence
à la suspicion en passant par l’accueil à bras ouverts.
«L’héritage est immense et le Luxembourg petit. Face à
ce constat, j’ai entrepris la rédaction d’un livre sur mon
père mais je ne sais plus quoi faire d’autre.»
Et le modérateur Paul Bertemes de la rassurer: «C’est
déjà beaucoup», avant de céder le mot de la fin à
Dr. Bayer: «Il est illusoire de croire que la société pourra
tout absorber pour la postérité: les pertes matérielles
seront inévitables et importantes. Il faut en prendre
conscience maintenant et chercher à documenter de
manière digitale cette production afin d’en garantir une
transmission pour les générations futures, voire pour
une éventuelle étude ou publication. L’heure est venue
d’adopter une attitude très pragmatique.»
Sonia da Silva SUCCESSIONS