Full text: MuseoMag 2024_04

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N°IV 2024   MuseoMag 
hygiène, etc). Même si certaines ont profité des 
moyens de communication virtuels pour continuer 
à travailler, moi, je n’ai pas pu car je suis tombée 
gravement malade. J’ai donc vécu cette phase de 
manière plus épidermique encore, avec de sur- 
croît la conscience de reproduire le schéma de vie 
de ma mère sous la dictature, mais aussi de vivre 
recluse dans un corps de femme malade, avec 
toutes les interrogations intimes que cela soulève. 
Rétrospectivement, je peux affirmer que tout cela 
a déclenché en moi une introspection telle que je 
me suis mise à penser à un programme qui corres- 
pondrait en fait à mon propre temps chronologique. 
Comme mes invité.e.s, je suis moi aussi une enfant 
de l’aube (j’avais à peine 3 ans quand la Révolution 
a éclaté). 
Parliez-vous en famille de ce temps de guerre 
vécu par votre père? 
Contrairement à nombre de familles au sein des- 
quelles la guerre coloniale est taboue, où règne 
un mutisme absolu sur ce passé, j’ai évolué dans 
un foyer où ces traces peuplaient notre quotidien. 
Mon père adressait par exemple des photos de lui 
en Angola à ma mère, souvent en tenue militaire, en 
groupe avec des camarades de caserne ou parmi 
les autochtones. Et ma mère lui envoyait des photos 
de leurs deux enfants. Ces images se trouvent dans 
nos albums de famille, tout comme les nombreux 
aérogrammes que ma mère recevait de lui. 
Vous dites que les mémoires parcourues avec 
vos invité.e.s correspondent à votre propre temps 
chronologique. Diriez-vous que cette émission a 
eu un effet thérapeutique sur vous? 
D’une certaine manière, oui. Quand on revisite son 
propre passé, cela a toujours quelque chose de 
réflexif, cela nous permet de comprendre certaines 
choses, de les relire à la lumière de l’expérience col- 
lective. Il y a deux ou trois générations en arrière, le 
Portugal était essentiellement un pays pauvre, rural 
et analphabète: cela revient de manière récurrente 
dans les témoignages recueillis («je suis la première 
personne de ma famille à faire des études», «ma 
grand-mère analphabète», «mes grandes vacances 
passées au village»), et je me retrouve dans ces 
observations. 
Vous avez passé toute votre jeunesse dans 
une des régions les plus reculées du Portugal: 
Trás-Os-Montes. Une terre natale qu’aujourd’hui 
vous semblez convoquer avec récurrence – par 
nostalgie? 
J’ai toujours été très orgueilleuse de ma terre 
natale et y suis très attachée, même si entre-temps 
j’ai vécu plus d’années à Lisbonne, où je me suis 
établie en 1999, que n’importe où ailleurs. Mes 
parents vivent toujours là-bas et ma famille, j’ai donc 
de la région une connnaissance très concrète. 
Si j’évoque souvent Trás-Os-Montes, cela tient tout 
simplement au fait qu’aujourd’hui, je me retrouve 
plus dans la position de l’interviewée que de 
l’intervieweuse et par conséquent, ma terre natale 
est souvent citée car elle fait partie de mon récit 
biographique. 
Vous êtes l’autrice du programme Os filhos da 
madrugada: quels critères vous ont tenu à cœur 
dans la sélection des candidat.e.s de l’émission? 
Être né.e après le 25 avril, comme l’indique le 
titre du programme, jouer un certain rôle social ou 
jouir d’une reconnaissance publique, être issu.e 
de diverses catégories socio-professionnelles, 
représenter la diversité des décennies de ce demi- 
siècle de démocratie (l’entrée du Portugal dans la 
CEE en 1986 marque une césure très nette dans les 
choix de vie qui se présentent par la suite), donner 
la parole à des personnes de bords idéologiques et 
de régions géographiques diverses, interviewer de 
manière croisée des personnes de générations 
différentes (mère/père-fille/fils), et enfin, respecter la 
parité entre hommes et femmes, car je suis féministe. 
Quand avez-vous développé votre conscience 
féministe? 
Je dirais à l’adolescence, lorsque je me suis aper- 
çue de la différence de traitement entre hommes 
et femmes, comment celles-ci étaient bannies de 
l’espace public, de la rue. J’ai donc commencé à 
relever les inégalités de traitement, et la lecture 
d’une revue intitulée Mulheres, co-dirigée par Maria 
Teresa Horta et Maria Isabel Barreno, a eu un impact 
très fort sur cette prise de conscience féministe. Je 
me souviens avoir lu un article qui m’a durablement 
marquée et qui parlait des vacances telles que vé- 
cues par les hommes et les femmes. La conclusion 
était la suivante: finalement, les femmes en vacances 
continuent d’exécuter les mêmes tâches ménagères, 
soit faire à manger pour la famille, s’occuper des 
enfants, etc. Peut-être qu’en dehors du logement de 
vacances elles changeaient d’air, mais une fois de 
retour à la maison l’ordre des choses s’imposait à 
nouveau. Ma mère et toutes les femmes de sa géné- 
ration ont vécu cette réalité… Mais moi adolescente, 
qui n’avais pas encore lu les Mémoires d’une jeune 
fille rangée de Simone de Beauvoir ni mesuré la 
dimension politique du livre fondateur Novas cartas ENTRETIEN
	        
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