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N°I 2025 MuseoMag
Babeuf, Bakhtine, Louise Michel... Mais je n’ai jamais
été maoïste. J’ai été membre du parti communiste
pendant trois mois mais je suis parti car le secrétaire
de la cellule refusait qu’on s’interroge, qu’on soulève
des questions. Un imbécile!
En revanche, quand certains membres de Supports/
Surfaces ont soudain revendiqué un retour à l’usine,
cela m’a mis hors de moi pour avoir trimé comme
peintre en bâtiment pendant quinze ans. C’est vrai-
ment une revendication de petit bourgeois et d’intel-
lectuel de gauche. Cela faisait partie de nos confron-
tations au sein du groupe. Après, il y a l’art qui reste.
Que reste-t-il de l’esprit révolutionnaire de
Supports/Surfaces, qui prétendait briser les codes
de la peinture?
Quand je vois aujourd’hui un retour de la peinture
sur chevalet avec notamment l’actuelle exposition
que le Musée d’Orsay consacre à la peinture
contemporaine française, j’y vois un crime de
lèse-majesté dans ce face-à-face avec le tableau:
on vit une époque éminemment réactionnaire. Moi
je continue à cultiver une approche dans un esprit
révolutionnaire par rapport à la pratique de la
peinture: je m’évertue à ne pas être un produit.
Quand je peins aujourd’hui Guerni-Gaza, dans la
lignée de la série «Sniper», ou encore Sniper 14 mai
2018, ce n’est pas anodin, je sais que je vais me
heurter à des confrontations. Mon art est innervé
d’une conscience politique, il est engagé, c’est un
manifeste contre ce qui se passe dans le monde car
un artiste est là pour déplacer les croyances et les
consciences. La pensée du spectateur doit pouvoir
cheminer au regard de l’œuvre. Il faut que les signes
soient différents d’une œuvre à l’autre, que la
lecture soit le fruit d’un cheminement intellectuel.
Une œuvre d’art est réalisée dans le présent mais
elle doit aussi s’inscrire dans le futur: l’artiste a
priori est le seul à imaginer à quelle hauteur il saute!
À tort ou à raison d’ailleurs. C’est une posture qu’il
est difficile à faire accepter dans l’industrie cultu-
relle. Et par les temps bien-pensants qui courent…
Qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui dans la
pratique de la peinture? Qu’est-ce qui en général
vous exaspère, qu’est-ce qui vous ravit?
La liberté de penser est capitale à mes yeux: or,
elle est très menacée de nos jours. On cherche à
la tronçonner, à dicter ce qu’on peut dire, ne pas
dire… Cela me met en colère de voir comme on
nous catalogue au pied levé de ceci ou cela… Il
me semble qu’on a le droit de s’interroger et de
soulever des questions sur tout et tout le temps.
Ce qui me ravit? Je suis encore vivant, et je me
déplace encore beaucoup pour mon travail. Or n’en
déplaise à certains: j’adore prendre l’avion, avoir le
cul assis à 10.000 mètres d’altitude, je trouve cela
formidable. Regarder la terre depuis le ciel… ça
m’émerveille!
Propos recueillis par
Sonia da Silva
L’exposition Supports/Surfaces, à l’affiche
jusqu’au 23 février 2025, a été l’occasion pour
le musée de fixer en son et image quelques
précieux témoignages. Outre une table ronde
organisée au musée sur l’héritage de cet esprit,
nous avons entrepris d’enregistrer des
entretiens avec quatre témoins (dont Noël Dolla).
Disponible sur notre médiathèque YouTube. TÉMOIGNAGE