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MuseoMag N°IV 2024
Angola-Lisbonne, 1975: des milliers de vies en suspens dans l’attente d’un vol aller simple.
LES RETORNADOS
OU L’IMPOSSIBLE PAGE BLANCHE
©
alfredo
cunha,
spa
2024
moitié au départ d’Angola). Sur les quais de Lisbonne
s’amoncellent des centaines de conteneurs avec
des effets personnels sauvés de justesse par des
propriétaires en fuite: il est question dans différents
témoignages de robes de mariage, de mobiliers, de
vêtements; d’aucuns parlent de diamants dissimulés
dans des poupées, d’autres, plus tragiquement, de
corps de soldats à ensevelir dans le sol portugais…
SOIT COLON, SOIT COLONISÉ ?
Troisième image et suivantes. Angola-Lisbonne,
1975: des centaines de personnes sont littéralement
parquées dans des hangars d’aéroport et attendent
de pouvoir décrocher une place dans un avion.
Nombre d’enfants feront le trajet seuls, certains
parents étant convaincus que la situation se
calmerait, que la vie édifiée Ultramar ne peut pas
s’effondrer du jour au lendemain. Mais ils devront
s’y résigner et fuir tôt ou tard les scènes de
guerre, pleines de terreur et de menaces, laisser
derrière eux un toit, des biens, une vie sociale et
en faire le deuil, quand ce n’est pas celui de proches,
victimes des escalades.
Les retornados représentent des groupes de popu-
lation très disparates: il y a celles et ceux qui ont
quitté le pays continental pour travailler en Afrique
et connaître un niveau de vie meilleur; d’autres par-
ticipent plus activement du système colonial en ex-
ploitant p.ex. de modernes propriétés agricoles ainsi
que les forces de travail sur place; mais il y a aussi
beaucoup d’enfants déjà nés dans les anciennes
colonies et inconscients des injustices qui se
trament Ultramar, etc.
À l’arrivée en métropole, le choc est rude. Nombre
de ces retornados échouent sur une terra incognita,
qu’ils ressentent souvent comme étant pauvre, sale
et froide: leur «patrie» leur semble bien terme, isolée
et sclérosée. Aux nouvelles conditions de vie misé-
reuses et aliénantes s’ajoute cette étiquette infa-
mante: les retornados sont souvent perçus comme
des racistes par les gens de la métropole, étiquetés
comme «les vaincus de l’empire» qu’on veut surtout
oublier.
Dans la foulée, un Institut d’Appui au Retour des
Nationaux (IARN) est créé pour régulariser ces
retours massifs: près de 70 mille personnes dans
le besoin se voient proposer des mesures d’appui
temporaires. Elles sont logées et nourries dans
des hôtels ou des pensions où parfois le degré de
privacité laisse à désirer…