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MuseoMag N°IV 2024
Le lieutenant-colonel Marcelino da Mata, encore connu comme le militaire le plus décoré de l’armée portugaise, arborant
ses nombreuses décorations.
©
alfredo
cunha,
spa
2024
LES RETORNADOS
OU L’IMPOSSIBLE PAGE BLANCHE
Le processus de décolonisation à la lumière des images d’Alfredo Cunha
Si nombre de ressortissants portugais du Luxembourg
retrouvent encore dans les archives de famille
des objets ou documents attestant du passé militaire
de leurs pères ou grands-pères ayant servi Outre-
mer (notre exposition historique La révolution de
1974 repose pour partie sur ce type de prêts), ils
doivent être tout aussi nombreux à avoir entendu,
dans leur cercle intime, des histoires de proches
ayant vécu ou travaillé dans les territoires occu-
pés avant d’avoir eu à «retourner au pays». Des
histoires souvent un brin passéistes qui charrient le
même sentiment d’inconfort qu’en découvrant dans
un album de famille la photo d’un proche en tenue
de militaire engagé en guerre d’Outre-Mer.
La thématisation de la guerre coloniale dans
l’exposition La révolution de 1974 et le processus
de décolonisation capturé par l’objectif d’Alfredo
Cunha dans l’exposition sur ses 50 ans de carrière se
font puissamment écho. Et c’est de cette résonance
dont il est question ici pour évoquer, en quelques
traits et moult questions ouvertes, le destin des
retornados (littéralement «ceux qui sont retournés»).
Au lendemain du coup d’État au Portugal, le 25 avril
1974, la grande majorité des citoyens se met à rêver
d’un nouveau départ. La chute de la dictature,
le processus révolutionnaire en cours et l’annonce
d’un plan en 3D: «Démocratiser – Développer – Dé-
coloniser» amorcent alors un élan de vitalité. Mais
est-il possible de faire table rase de 48 années de
dictature quand de surcroît elle est fondée sur une
vieille chimère impérialiste?
Penchons-nous plus spécifiquement sur les suites
de la décolonisation à partir de ces trajectoires
humaines et en prenant appui sur quelques images
clé d’Alfredo Cunha.
LES LAISSÉS-POUR-COMPTE
Première image. Plan serré sur la série de déco-
rations du lieutenant-colonel Marcelino da Mata,
originaire de Guinée-Bissau, qui fut l’un des fon-
dateurs de la troupe d’élite Comandos. Ce cliché
balaye d’emblée toute tentative d’interprétation
manichéenne du conflit colonial. De fait, comme
d’autres puissances coloniales, l’armée portugaise
n’hésite pas à recruter au sein même de la popu-
lation autochtone pour des raisons économiques et
opérationnelles évidentes. Certaines recrues locales
endossent même un rôle stratégique de premier