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N°III 2024 MuseoMag
ENTRETIEN
cette exposition-ci fasse le voyage car elle est d’une
très grande qualité muséologique, qui plus est
placée sous la curatelle d’un grand professionnel en
la personne de David Santos, directeur du Museu do
Neo-Realismo.
Dans les années 70, des milliers de Portugais
prennent la fuite et quittent le pays, soumis à une
dictature austère depuis 1933. Comment le jeune
garçon que vous êtes alors vit-il sa jeunesse
en pleine répression sociale, économique et
politique?
C’était évidemment très dur. Et les gens aujourd’hui
– notamment la jeune génération – ne s’imaginent
pas ce que c’est que d’être totalement privé de li-
berté. C’est inimaginable… J’ai peine à l’expliquer à
un jeune d’aujourd’hui: alors je leur dit que même le
Coca-Cola était interdit ou bien qu’il fallait une auto-
risation pour avoir sur soi un briquet. La vie était très
dure, très compliquée… C’était un pays très fermé,
et on le ressent aujourd’hui encore à travers les
traits du conservatisme et de la bureaucratie in-
hérents au système, tout cela est l’héritage d’un
contrôle excessif du régime dictatorial.
Quand éclate la Révolution des Œillets, vous avez
vingt ans et travaillez pour le journal O Século.
Comment apprenez-vous la nouvelle?
Nous, journalistes, étions à la source et savions
qu’une révolution allait se produire, d’ailleurs, tout
le monde était convaincu qu’elle devait avoir lieu le
29 avril, symboliquement juste avant le
1er
mai. Dans
notre milieu donc, la chute du régime n’est pas une
surprise, c’était quelque chose d’imminent et le pays
pressentait ce tournant.
Encore faut-il dire que ce «pressentiment» n’est
perceptible que par certaines couches sociales,
et dans certains centres névralgiques du pays.
Disons que cela tient évidemment au fait que cer-
taines régions étaient plus politisées que d’autres
mais aussi de manière générale à l’absence d’infor-
mation, au manque général de littératie, voire au fort
taux d’analphabétisme, qui était immense avant le
25 avril.
Retour à la Révolution: quand elle éclate vous
avez 20 ans, l’âge pratiquement d’être convoqué
au service militaire. Vous sortez dans la rue avec
votre appareil photo et quarante rouleaux de films
en poche. Racontez-nous comment s’est déroulée
cette journée.
Ce jour-là, je suis en effet à quelques jours de ma
convocation pour le service militaire, auquel j’aurais
dû me présenter en avril 1974 si la Révolution n’avait