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N°III 2024 MuseoMag
©
éric
chenal
RESTAURATION
UN FILTRE SÉPIA
Effectivement, l’aspect très jauni de la peinture, à
la façon d’un filtre sépia que l’on additionne sur les
photos de son téléphone, dénotait particulièrement.
Ce phénomène est familier aux visiteurs de musée
ou amateurs d’antiquités et se traduit par des cou-
leurs ternies et des tons blancs prenant une teinte
jaunâtre.
Il est légitime de s’interroger sur l’origine de cette
décoloration – une question souvent soulevée lors
de rencontres avec des restaurateurs – et d’abor-
der ensemble le traitement de dévernissage, l’un des
traitements de restauration les plus courants et les
plus impressionnants visuellement.
LA SCIENCE DERRIÈRE LA PRATIQUE
Les peintres qui appliquent des vernis sur leurs
œuvres le font notamment pour des raisons esthé-
tiques. Effectivement, un beau vernis transparent
apporte de la profondeur aux tons foncés et ac-
centue ainsi l’effet de perspective. Il remplit éga-
lement d’autres fonctions telles que celle de pro-
tection contre l’encrassement, les radiations de la
lumière, etc. Lorsque les vernis sont altérés à cause
de phénomènes d’oxydation (en réaction avec l’air),
ils perdent leur transparence, leur brillance et jau-
nissent. Ainsi, au fil du temps, il a parfois été décidé
d’appliquer une nouvelle couche de vernis sur
l’ensemble pour re-saturer l’œuvre. Cela crée une
accumulation de vernis et est souvent observé sur
les œuvres anciennes. Dans notre cas, au moins
trois couches de vernis semblent recouvrir la
peinture et altérer notre perception.
DÉVERNIR N’EST PAS SANS PÉRIL
Suite à ces observations, la décision peut être prise
de dévernir l’œuvre, c’est-à-dire, d’éliminer une ou
plusieurs couches de vernis qui présentent des al-
térations et qui ne remplissent plus leurs fonctions
esthétiques et de protection.
Cette opération n’est cependant pas sans risques,
la difficulté réside dans le fait d’éliminer les couches
de vernis sans endommager les couches originales
sous-jacentes. Une compréhension accrue de la
composition chimique des vernis et de celles des
couches picturales est indispensable sans quoi des
dommages irréversibles sont entraînés sur l’œuvre.
Lors du traitement, ce même bagage théorique
est indispensable et guide les restaurateurs dans
leurs choix. Ceux-ci adaptent les méthodes et les
matériaux en fonction des spécificités de chaque
cas, tirant parti des avancées scientifiques. Ils
disposent ainsi d’un large panel de moyens qui
évoluent au fil du temps. Le processus de dévernis-
sage est donc complexe et mêle à la fois les avan-
cées scientifiques, des connaissances théoriques
pointues et une grande habilité technique.
UN HOMME VERNI
Le dévernissage de cette peinture a été réalisé à
l’aide d’un mélange de solvants adaptés et de papier
synthétique permettant de ralentir l’évaporation et
de jouer un rôle d’absorption. Les solvants sont sé-
lectionnés en suivant une méthodologie rigoureuse
basée sur des tests préliminaires.
Après dévernissage, les tons sont révélés, les blancs
sont redevenus blancs tandis que les nuances
vert foncé du manteau et bleu clair du pantalon sont
réapparues. Enfin, l’œuvre a été revernie à l’aide de
résines synthétiques spécialement étudiées pour
leur stabilité et leur réversibilité dans le temps. Notre
lecture de l’œuvre est désormais plus fidèle à l’in-
tention de l’artiste et nous permet une meilleure
compréhension iconographique de l’œuvre.
Laura Guilluy
Le tableau de Munchen sous la loupe de la restauratrice.