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N°II 2024 MuseoMag
restauration ne s’impose pas encore, au regard des
heures d’ouverture restreintes (de 12-18h de mercredi
à dimanche) et de ses conditions de faible éclairage
– mais cela va s’imposer à moyen terme. La collec-
tion Bitter Years, c’est une autre histoire: son état de
conservation est moins heureux, c’est pourquoi elle
avait été démontée pour une analyse préventive qui
a démontré le besoin d’intervention urgent sur une
série de photos. La collection du musée et celle que
vous gérez pour la Ville de Luxembourg sont pro-
bablement les mieux conservées de toutes. Enfin, il
reste encore celle de la Spuerkeess dont une exper-
tise est en préparation.
À votre sens, est-il pertinent en matière de
collection de photographies, de différencier entre
la valeur pécuniaire d’un vintage print et celle
d’un tirage tardif?
J’ai pour habitude de dire qu’une photo a autant de
valeur que celle qu’une personne ou une institution
est disposée à investir à un moment donné. Mais il
est vrai qu’un vintage print a une véritable valeur
d’originalité en ce sens qu’il a été méticuleusement
contrôlé par son auteur. Et Steichen était de cette
engeance: un artiste très rigoureux qui détruisait les
négatifs et les tirages dont il estimait qu’ils n’étaient
pas dignes de son œuvre.
Il est évident que si sur le marché, on a le choix
entre un vintage print et un tirage tardif, le premier
a une valeur d’authenticité supérieure. Prenons
l’exemple de la vente record par Christie’s, il y a un
an et demi, d’une photo de Steichen pour près de
12 millions de dollars: datée de 1904, celle-ci repré-
sente l’édifice new-yorkais Flatiron, qui avait ouvert
ses portes deux ans plus tôt. Ce print est vraiment
très rare, à l’instar des images datées d’avant 1914
vendues par Steichen lui-même ou revendues par le
galeriste Alfred Stieglitz. Les travaux dits « camera
work », qui ne sont pas des photographies au sens
chimique du terme, ont également une certaine va-
leur sur le marché car ils circulent en nombre limité.
Il y a beaucoup de variables à prendre en considé-
ration mais il est vrai qu’un vintage print est comme
un ancien numéro de journal qui n’est plus imprimé.
Rare et donc précieux.
L’exposition actuellement à l’affiche du National-
musée um Fëschmaart donne à voir Steichen
sous un jour autre que le photographe mondaine:
du photoreporter au service de l’armée militaire
américaine en passant par l’horticulteur passion-née
jusqu’à l’homme au grand âge entouré de ses chiens.
Que vous inspirent ces facettes moins paillettes?
ENTRETIEN
L’œuvre de Steichen est réellement plus complexe
qu’on ne le croit si l’on prend en compte toutes les
facettes de l’homme et ses réalisations. À y voir de
plus près, on aperçoit un homme d’une grande curio-
sité, qui s’est ouvert à un grand nombre de médiums
et qui ne s’est pas laissé enfermer par une étiquette
ni même impressionner par son entourage mondain.
C’était le photographe le plus prisé de sa génération
mais cela ne l’a pas empêché de signer des photos
de publicité, ou de curater des expositions telles que
la Family of Man dont certains ont pu lui reprocher
un « humanisme naïf ». Ce que l’on sait moins, c’est
en 1953, il orchestre une exposition intitulée Postwar
European Photography à laquelle participe le photo-
graphe luxembourgeois Romain Urhausen. Dans sa
fonction de commissaire d’exposition au MoMA, il
aura d’ailleurs largement œuvré pour soutenir de
jeunes photographes soit par une politique d’achat
soit par une programmation ciblée – comme le fit de
son temps Alfred Stieglitz avec lui-même.
Au Luxembourg, l’image de Steichen est trop sou-
vent ramenée à celle du photographe de stars. En
vérité, l’argent qu’il gagnait à ce titre, il le réinves-
tissait dans ses passions, notamment la culture de
dauphinelles. L’horticulture était pour lui une réelle
source d’enchantement, au point de la hisser au rang