Dorénavant, ce sont les Pays-Bas qui prennent la téte : Déjà à la fin
du XVI? siécle deux tendances s'y manifestent: la nature morte mouve-
mentée, avec personnages ou animaux vivants, dont Aertsen et Beuckelaer
se font les protagonistes et dont au XVIIe siécle Jan Fyt, par exemple,
fut un des maîtres les plus représentatifs ; la nature morte statique, vraiment
immobile, qu’inaugure Jan Brueghel de Velours et qui va, avec son élève
Boschaert, pénétrer dans les Pays-Bas du Nord, protestants, où elle fêtera
ses plus nobles triomphes.
La France de Louis XIII eut ce même goût de la nature morte statique,
elle en épure même la composition à tel point que, si la qualité picturale
n’atteint pas celle des Hollandais, l’esprit en est peut-être plus subtil, plus
élevé.
La deuxième moitié du siècle a voulu que les objets inanimés fussent
luxueux, chatoyants, participant à un décor dont Versailles devenait pour
toute l’Europe le modèle.
Chardin devait renouveler la vision simple, bourgeoise de l’époque
Louis XIII, mais avec une tendresse, une volupté de la couleur et de la
matière, une transposition par l’esprit qui font de lui un des plus grands
peintres de tous les temps. Pourtant, lui, qui de 1728 jusqu’à sa mort
(1779) avait été le maître incontesté de la nature morte française, tomba
presque dans l’oubli au moment du classicisme et même parmi les Roman-
tiques : il fallut la clairvoyance de quelques collectionneurs pour lui rendre,
vers 1870, une place dans l’histoire de la peinture qui depuis lors ne fait
que grandir, en compagnie d’un Vermeer ou d’un Cézanne.
Le tableau de Chardin, qui est un des plus précieux de la collection
réunie à Strasbourg, appartient au Louvre ; il y est entré en 1869 avec la
collection La Caze qui en comportait quatorze, lesquels n'ont pas été sans
influencer les générations alors montantes ; on le sait pertinemment pour
Manet, pour Renoir et pour Cézanne.
La nature morte moderne a trouvé jusqu'ici, dans la collection stras-
bourgeoise, une représentation plus sporadique que celle du XVIIe et du
XVIIIe siécle. Mais trois jalons importants peuvent étre consignés dans
son catalogue : Manet, Gauguin, Braque. On regrette l'absence des impres-
sionnistes, de Cézanne, de van Gogh, de Picasso, de Derain, qui eussent
établi la continuité.
Avec Manet, la figuration d'objets inanimés prend un nouveau sens.
Après Courbet, il dégage la nature morte de l'atmosphére romantique où
lavaient baignée Géricault et Delacroix. Il la dépouille définitivement
de tout sens littéraire ou moral. Sa Brioche (sujet qu'il a traité plusieurs fois)
doit tout à l'intelligence de sa composition, à la beauté du langage pic-
tural. Le mouvement impressionniste dilue ses sujets d'intimité domestique
dans la lumière qu’il vient de redécouvrir, cette lumière de plein air qu'il
a toujours préféré chercher dans le paysage. Avec Cézanne, dont les natures
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