Volltext: Raoul Ubac

L'ENVERS DE LA FACE 
par Raoul Ubac 
Une image, et surtout une image photographique, ne donne du reel qu’un instant 
de son apparence. Derriére cette mince pellicule qui moule un aspect des choses, à 
l'intérieur méme de cette image il en existe à l'état latent une autre, ou plusieurs 
autres superposées dans le temps et que des opérations le plus souvent dues au 
hasard décèlent brusquement. 
Ce hasard peut s'exprimer dans une soudaine contraction de l'image en faisant 
fondre la gélatine mouillée sur un réchaud. Techniquement tout se passe en dehors de 
l’opérateur. La matière travaille elle-même à constituer une nouvelle image par la 
destruction de l’ancienne, ou à reconstituer une image perdue, cela suivant les lois 
qui se dégagent de l’action de l’eau ou du feu sur une autre matière. La main du 
créateur n’a ici qu’une valeur de médiatrice. Les photographies «l’Envers de la face», 
qui représentent une transmutation de la face humaine, ainsi que «la face pétrifiée», 
ont été obtenues de cette manière. Elles sont le point de départ et l’aboutissement 
d’une méditation sur la face humaine. Mieux que des phrases l’automatisme de la 
création m'a fait comprendre ce que cette face représente. En effet rien ne peut sembler 
aussi abject que l'aspect de la face humaine. Je ne puis comprendre que depuis prés 
de deux mille ans l'intérét de l'homme se soit concentré presqu'exclusivement sur les 
quelques traits de sa face; que peintres, sculpteurs, photographes, cinéastes se soient 
ingéniés à la représenter en la grossissant, la sublimant en l'isolant du corps dont elle 
n'est pourtant qu'une trés petite partie, cela, au détriment du corps qui a perdu 
son unite. 
Depuis l'ére chrétienne la téte, surtout la face, a combattu le corps. Elle a mangé 
le corps, elle s’est substituée à lui alors qu'elle n'en était que le reflet. II me semble 
nécessaire que le corps se charge à nouveau de résorber la face et que la face elle-méme 
se continue au-delà de son expression immédiate. La face pétrifiée rejoint cette pré- 
occupation. Un paysage calciné s'y découvre qui s'étend dans le repos constitué par 
la face qui s'y imprime, se confondant en elle qui se confond en lui. 
Toute expérience de cet ordre doit être menée jusqu'à l'extréme de ses possibilités. 
Ces faces sont à la limite de la représentation humaine. Elles atteignent le point où 
l'image n'avance qu'au prix d'une mutation. 
Exercice de la purete, 1942
	        
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