Tout le monde le sait et bien des gens le déplorent: en général l'art
moderne a d'autres préoccupations que l'examen d'une physionomie
ou l'analyse d'un caractére. Aussi ne trouvons-nous pas beaucoup de
ortraitistes parmi les grands peintres du XXe siècle. Kokoschka fait
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exception à la régle, car une part importante de sa production se
compose de portraits, et ceux-ci sont à coup sür les oeuvres les plus
émouvantes qu'il a réalisées.
Pendant toute sa carriére artistique, qui s'étend sur une soixan-
taine d'années, i| ne s'est pas lassé de considérer ses semblables, d'en
scruter les traits, d’en deviner les penchants, les complexes, le destin.
Sans doute les portraits les plus significatifs sont-ils ceux qu'il a créés
avant 1924, c'est-à-dire avant l'époque oü il s'est mis à parcourir
l’Europe et à peindre surtout de vastes paysages. Nombre de ses
modéles étaient alors ses amis de Vienne, de Berlin ou de Dresde: les
écrivains Karl Kraus, Peter Altenberg, Walter Hasenclever, le poéte
Albert Ehrenstein, l'architecte Adolf Loos, l'historien de l'art Hans
Tietze, l’acteur Rudolf Blümner, Herwarth Walden, le directeur de
la revue et de la galerie berlinoises Der Sturm, Alma, la veuve du
compositeur Gustav Mahler ... Mais quels qu'aient été leur identite
ou leur état, il les regardait toujours avec ferveur, souvent avec