INTRODUCTION
Resumer, en une centaine de tableaux, les vingt dernieres annees de la production picturale
dans cette France oü travaillent actuellement plusieurs dizaines de milliers de peintres, l'absur-
dité dune pareille tentative saute d'abord à tous les yeux. D'autant que le recul nous manque,
pour discerner les mouvements historiques de ceux qu'une propagande tapageuse installe souvent,
et sans lendemain, au premier rang d’une éphémère actualité. Aussi a-t-il paru préférable de
ne représenter dans l’actuelle exposition que vingt-quatre peintres français par leur naissance,
leur naturalisation ou la scène de leur activité, et que l’opinion généralement admise considère
comme particulièrement importants ou hautement significatifs.
Ces vingt-quatre peintres se rangent facilement en deux familles. Voilà, d'une part, huit ainés,
qui appartiennent à la génération, ou plutót aux générations, de ceux qu'on peut appeler les
créateurs et les maitres de la peinture du XXe siécle; et voici, de l'autre, quinze artistes dont
les naissances s'échelonnent de 1904 à 1921; entre les deux groupes, Bissière fait une manière
de pont, contemporain de ses cadets par la jeunesse de son art, et, par son âge, des pionniers
de la peinture contemporaine. Ainsi est illustrée cette continuité de la production picturale
française, que n’ont pas interrompue, bien au contraire, les révolutions artistiques, si nom-
breuses en notre siécle, tant elle plonge profondément ses racines en un terroir oü s'est accumulé
l'apport des générations successives, comme les strates dans une montagne. Et ainsi également
est mis en pleine lumière un des traits qui donnent, à la peinture française d’aujourd’hui, sa
physionomie personnelle.
Quelles autres lignes de son visage l’exposition fait-elle percevoir? Les différences sont profondes
entre l’exaltation baroque’ d’un Pignon, qui demeure fidéle à la réalité qu'il transpose, et la
géométrie abstraite d'un Vasarely, précurseur, et de longue date, de l'Op-Art américain, ou
entre la non-figuration d'un Bazaine et d'un Manessier, toute nourrie d'un commerce constant
avec la nature, et l'abstraction d'un Soulages ou d’un Mathieu, aussi sévère et rigoureuse, aussi
bien, chez l'un qu'elle est, chez l'autre, docile au caprice et alimentée par la fantaisie. Cepen-
dant, il existe entre ces seize artistes de certains communs dénominateurs, qui, non seulement,
les unissent, mais, en les différenciant en outre de leurs confréres étrangers, conférent à leur
art une saveur spéciale, dirai-je: une saveur française.