ment des flots, la situation des bateaux, n'apparaitront qu'apres une certaine
fréquentation de l’œuvre. De même la figure, le manteau, le heaume de «, Charles
d'Aquitaine », dans la toile qui porte ce nom. C'est d'abord l'organisation abstraite
de la toile, je crois, qui frappera le spectateur. Mon désir ultime est cependant
que l'objet affirme tót ou tard sa présence, et j'ai fait tout ce qui était en mon
pouvoir pour que ce résultat soit atteint. Au reste, je ne souhaite pas particulière-
ment ce retard à la lecture et je n'ai pas craint de rendre le sujet plus directement
apparent lorsqu'il m'a semblé que la rigueur et la spontanéité de l'organisation
picturale ne devaient pas en souffrir : ainsi, je crois que la « Vue de Rome »,
le « Printemps en Bretagne », vous livreront assez facilement la Ville Eternelle
ou la cóte armoricaine.
I] est certain qu'une telle ouverture, donnant des œuvres qui couvrent à peu
pres l'intervalle entre ce qu'on appelle ordinairement la Figuration et ce qui peut
étre pris à premiere vue pour de l'Abstrait, réclame, de la part du public, une
liberté, une agilité d'esprit qui ne se rencontrent pas toujours. Certes, la diffi-
culté du Cubisme n'était pas moindre pour l'amateur, et celui qui accepterait les
réalisations de cette école n'aurait aucune peine, il me semble, à pénétrer ma
peinture. Mais ce mouvement est passé dans l'histoire sans avoir été jamais pro-
fondément goûté par un public important. D'ailleurs, les grands Cubistes ont intro-
duit une nuance de désintégration du Monde assez éloignée de mes intentions.
lesquelles visent plutót à une intégration des choses au sein de notre àme.
Peut-étre si l'on voulait procéder du connu vers le nouveau pour s'introduire
dans ma création, et rétablir un lien rompu entre la Figuration classique et celle
que je vous présente, faudrait-il aussi s'imprégner des mille et mille formes d'une
Figuration infiniment variée, à laquelle les hommes n’ont guère cessé de se vouer
depuis les temps les plus reculés. Des fresques de Lascaux à la rocaille Louis XV,
en passant par les bronzes Chang et ceux des steppes, par le Scribe accroupi et
les Corés archaïques, les entrelacs irlandais, les figures nègres et océaniennes, les
émaux, enluminures et tapisseries du Moyen-Âge, on découvre le vaste panorama
d’une Figuration qui partait de l’intérieur pour recréer les objets sous une appa-
rence physiquement incontrôlable.
C’est le besoin de contrôler l’apparence naturelle, au contraire, qui dirigea
l’entreprise des plasticiens de la Renaissance. La « vitre d'Alberti », alors, devint
un écran opaque interposé, pendant plusieurs siecles, entre le regard des hommes
et toute espèce de représentation scientifiquement invérifiable, du moins en ce
qui concerne la grande peinture; une certaine tolérance fut seulement laissée aux
arts réputés mineurs.
Lorsque la « vitre d'Alberti » éclata sous la pression cubiste, l'effort néces-
saire pour reconquérir une Figuration libre n'était pas, il faut le croire, conforme