Full text: MuseoMag 2025_01

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N°I 2025   MuseoMag 
TÉMOIGNAGE 
la couleur ni pour le motif. Toile rouge est un grand 
morceau de toile que m’a offert un ami storiste et qui 
se trouvait dans la réserve de son magasin. Cette 
œuvre présente également des points blancs et 
trois points jaunes, et fait partie d’un de mes pre- 
miers triptyques. 
Vous situez très précisément votre prise de 
conscience d’artiste et citez le 14 décembre 1967 
comme jour inaugural de votre émergence. 
En décembre 1967, je présentais chez Ben au Hall 
des remises en question – avec Louis Cane, Daniel 
Dezeuze, Patrick Saytour, Claude Viallat – un châssis 
de toile démonté en étendoir sur lequel j’avais 
accroché quelques morceaux de tissus. En passant 
du plan du mur à l’espace, je m’affirmais comme 
artiste et m’affranchissais de la peinture de chevalet. 
Avec cette exposition chez Ben commence 
votre inclination pour le ménager, et plus 
particulièrement le textile de la vie ordinaire. Pour 
«chiffonner» les prescripteurs? 
Oui, il y avait de ça… Il faut savoir que j’étais le fils 
aîné dans une famille très modeste qui comptait 
quatre garçons. Depuis l’âge de mes 13-14 ans, je 
faisais un peu tout à la maison. L’histoire du ménager 
a toujours eu une importance pour moi: le linge 
étendu, les serpillères, les torchons, les taies d’oreil- 
lers, les gants de toilette, les mouchoirs... Mais de 
manière à éviter une trop grande charge émotion- 
nelle, j’employais toujours ces textiles à neuf, vierges 
de tout usage. Je n’ai jamais voulu qu’ils accroissent 
l’œuvre de leur vie supplémentaire. La connotation 
est suffisante, la charge est déjà considérable. 
Il y eut pourtant une période où vous chargiez 
ces textiles de matières plus organiques, telle 
que l’urine… 
Il est vrai qu’à une période donnée, j’ai eu recours 
à ma propre urine. Mais toujours pour rester dans 
l’histoire de l’art et dans l’histoire d’une pratique 
de la peinture. J’ai une formation technique assez 
importante et je me suis toujours souvenu que les 
hommes préhistoriques employaient du noir de 
charbon broyé avec de l’ocre jaune ou rouge, des 
terres naturelles donc qui étaient souvent mêlées à 
de l’urine et une graisse animale. Quand avec mon 
grand-père, j’ai appris à faire du faux bois et du faux 
marbre – c’était son métier –, je me souviens que 
souvent, n’ayant pas de minium de plomb, il prenait 
de la mine-orange qu’il mettait dans une boîte, 
pissait dedans et avec cette terre ainsi mélangée 
à de l’urine, il faisait son faux bois. Une fois le destin 
fait et le mélange séché, il passait une couche de 
vernis par-dessus à l’huile de lin. J’ai trouvé ce pro- 
cédé intéressant, j’y ai recouru comme une forme de 
teinture et réalisé peut-être une dizaine de toiles. 
Mais pour ses propriétés chimiques ou par 
référence à une pratique ancestrale ? 
Il y avait un peu des deux. Quand je travaillais à 
l’urine, cela donnait des discussions interminables 
avec mon épouse : à force, c’était gênant car ça sen- 
tait fort dans l’atelier, qui à l’époque se trouvait dans 
la maison. À cette teinture artisanale, j’ajoutais un 
liant qui était à l’huile de lin et à l’essence de téré- 
benthine, plus un peu de résine de ma composition 
qui recouvrait le tout pour le fixer définitivement. Il y 
avait aussi du jus d’oignon… bref, tout ça c’était du 
bricolage de l’époque que j’avais appris avec mon 
grand-père et dont je me servais pour des effets 
très particuliers. Autant vous dire que lorsque je suis 
passé de la peinture à l’huile à l’acrylique, l’odeur 
de tous ces produits me manquait dans l’atelier. 
L’acrylique, c’est âpre comme odeur, ça sent un peu 
le vinaigre, alors j’ajoutais quelques gouttes de téré- 
benthine, d’huile de lin et d’essence d’aspic sur un 
chiffon pour embaumer l’atelier et ainsi plonger en enfance.
	        
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