mortes sont les tableaux les plus « achevés », vu qu’il disposait en ce seul
cas de modèles patients entre tous, les objets reprennent un corps : ils sont
construits. Et l'exemple de Cézanne a survécu jusqu'aux tendances des
générations actuelles.
Que les peintres du XXe siécle cherchent dans la nature morte la
densité, la matiére, la couleur, la forme plastique ou l'arabesque, qu'ils
isolent l'objet de son fond ou le confondent, l'interpénétrent (comme le font
les cubistes) avec l'ambiance, ils ont refait de la nature morte un tableau
par excellence, celui où l’on oublie le sujet pour n’y voir que la peinture.
Comme à l’âge d’or de la nature morte et comme au temps de Chardin,
certains d’entre eux ont su suggérer par des objets humbles et familiers
le sens de la vie : le journal, le paquet de caporal, la boîte d’allumettes, la
guitare, le compotier, sont venus se joindre à la bouteille et au verre de tous
les temps.
C'est souvent dans la représentation d'objets inanimés qu'un artiste
arrive à donner toute la mesure non seulement de son talent, mais de sa
personnalité. Les objets les plus modestes acquiérent sous son pinceau une
noblesse, une spiritualité qu'augmentent encore leur choix, leur ordonnance
et l'éclairage choisi.
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Le spectateur, surtout s'il est admis à vivre en compagnie du tableau,
verra se dégager de ses formes, de ses lumiéres et de ses ombres, de ses
transparences et de ses enveloppements, l'àme et l'esprit des choses, et la
signification qu'elles ont pour leur temps.
Une boite, un verre ou un plat apparaissent autrement chez Baugin,
chez Chardin ou chez Braque. Un bouquet de fleurs de Brueghel de Velours,
de Linard, de Huysum ou de Renoir nous révélent autant et plus qu'une
composition historique la vision de leur époque, maniériste en 1600, jansé-
niste en 1640, pompeusement décorative en 1700 ou impressionniste en 1880.
La vogue que connait actuellement la nature morte n’est pas simple-
ment une mode. En un temps oü la vie est envahie par les bruits méca-
niques les plus divers, où les humains qui souffrent de la mainmise sur leur
existence du téléphone, des moteurs et de la radio, du cinéma et de la télé-
vision, le recueillement devant des « vies silencieuses », des « vies immobiles »,
est devenu un véritable besoin. Même lorsque ces tableaux n’ont aucun
sens moralisant, comme les « Vanités », l’esprit même dans lequel ils sont
peints est recueilli, concentré, intense. Les îlots de silence qu’ils constituent
sont — comme ils l’étaient aux temps troublés, sombres et tragiques de la
Fronde et de la Guerre de Trente Ans — des dérivatifs, des contrepoisons
à une existence inquiète, harassante, dispersée.
Haus HAUG
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