Full text: Vieira da Silva

Vieira le dit souvent: «Je suis une femme de la ville.» En effet, 
c’est au paysage urbain qu'elle se sent tout particulièrement liée. Il lui 
faut autour d’elle ces verticales qui barrent l’horizon, ces venelles qui 
débouchent sur la clarté, ces vastes chantiers où s’accumulent la pierre 
et le fer. Mais encore elle ne peut comprendre la cité sans son infra- 
structure. À tout ce qui s’élève, elle voit l’équivalent sous la terre: 
réseau monstrueux des égouts, des canalisations, résille tourmentée des 
câbles électriques, tunnels souterrains du métro, rivières aveugles. 
Comme d’immenses plantes d’acier et de ciment les villes plongent 
leurs racines loin dans le sol, provoquant au fond des galeries des effon- 
drements insidieux. Bien qu’absent de ses villes, l’humain est présent 
souvent par une sorte de grouillement intense et inquiétant. Alors 
que les cités étaient calmes, elle les voyait envahies, surpeuplées. 
Aujourd’hui qu’elles sont devenues ce que son imagination prévoyait, 
elle semble s’en écarter petit à petit. L’automobile l’en éloigne encore 
davantage, car les villes sont pour elle défigurées, saccagées par cette 
marée mécanique de cafards hideux et pestilentiels montés sur roues. 
Son oeuvre est particulierement riche en villes: Ville forte, Ville 
fermee, Ville neuve, en Grandes Constructions, en palais, en gares, 
en chantiers étagés sur des collines, des falaises, se mirant dans un Tage 
hypothétique, en cités grésillantes sous le soleil, lavées par la pluie, 
investies par la végétation. Elle est riche également en Bibliothèques, 
les «fruits d’or» de l’esprit. Elle les voit à la manière de Borgès, discon- 
tinues, en une infinité de galeries semblables et différentes composées 
d’images renvoyées, reflétées. 
Mais ce qui reste essentiel, ne serait-ce pas la peinture? Activité 
difficile, méditative, qui requiert tous les soins de cette artiste, toutes 
ses ardeurs. Activité qui sécréte des images comme l’abeille le miel, 
car tout ce que trace la main d'un peintre se transforme en images. 
C'est la peinture qu'elle se doit d'offrir aux autres. C'est dans ce 
domaine étroit et fabuleux que l'artiste se tient et demeure. (. . .) 
Extraits d’un livre sur Vieira da Silva 
Editions Fernand Hazan, Paris, 1973 
(Collection: Ateliers d’aujourd’hui) 
Guy Weelen
	        
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