Refusant la figuration, aussi bien la figuration traditionnelle, chére à tels de leurs prédéces-
seurs, que la nouvelle figuration, dont sont férus certains de leurs cadets, le domaine oü ils
s'installent et qui va de l'irréalisme à une compléte abstraction, c'est celui d'un art pour qui
le probléme, justement, ne présente pas grand sens de savoir si la peinture doit se souvenir des
apparences figuratives ou, au contraire, s'en détourner. Extérieure, à leur gré, aussi extérieure
et, partant, aussi vaine que le différend qui opposa les Néo-classiques, fidéles aux sujets grecs,
aux Romantiques, champions des thémes médiévaux, la querelle du figuratif leur apparait
comme un simple épiphénoméne, alors que le probléme, d'ordre plastique pour eux, est un
probléme de style, un probléme qui concerne lignes, formes, couleurs, lumiéres, espaces, l'étre
même de la peinture; et c’est à ce problème que, comme leurs aînés fauves et cubistes singu-
lièrement, ils se sont efforcés d’apporter une solution.
Or cette solution, elle me semble se situer dans une tradition éminemment frangaise par sa volonté
d'équilibre. Equilibre, dis-je, et non point mesure; car cette mesure, cette prétendue mesure
française, trop exaltée par de certains, qui se plaisent à la confondre souvent avec la médio-
crité, comment, à l'encontre de leur opinion, reconnaitre en elle un des éléments constitutifs
de l'art de cette France qui, au cours des siècles, a élevé à Beauvais la plus haute voûte, allongé
à Versailles la plus immense façade, réussi à Paris le plus haut assemblage de métal dont aient
osé rêver la technique et l’art du XIXe siècle, ce siècle que la peinture et la sculpture françaises
ont rythmé de toiles et de statues aussi colossales que le Sacre et le Radeau de la Méduse, le Départ
des Volontaires et la Liberté sur les Barricades, l’ Enterrement à Ornans et la Porte de l’Enfer. La grandeur
ne fait pas peur à l’art français, non plus qu’une certaine démesure, pourvu que les éléments
constitutifs de cette démesure s’organisent harmonieusement, et que la création, assemblant
thèse et antithèse, les équilibre en une synthèse qui ne peut être qu’équilibre.
Ce besoin de somme équilibrée autant qu'équilibrante, je le décéle dans la volonté la plus
manifeste, peut-étre, des peintres représentés dans cette exposition: celle d'accorder dans leur
art contenu spirituel et réalisation plastique. Eloignés d'une peinture qui ne serait que virtuosité,
morceau de bravoure d’un artisan soucieux d’en imposer par l’étalage de sa maîtrise, ces peintres
le sont aussi de cette conception, si prisée de nos jours, selon laquelle, dans le tableau, seuls
comptent le témoignage humain, le document psychique, l’expérience qui s’y exprime dans
un immédiat et par un immédiat, garant, prétendu tout au moins, de sincérité et d’authenticité.