Ravier dont l'exposition récente de ses toiles, à Reims, a révélé l'immense talent
de précurseur inspiré, est fidèle à l’esprit solide et créateur de sa ville. Il a fait
le voyage à Rome. Comme Corot, il a peint les ruines de la campagne romaine, les
bords du Tibre et les visages aux yeux ardents des Italiennes. Mais, après ces
années d'apprentissage, son itinéraire spirituel et matériel se réduit à la région
lyonnaise : à Optevoz, à Crémieu, à Morestel, où viennent souvent le rejoindre Corot,
Daubigny et parfois Courbet. L'Est lyonnais est sa terre d'élection : c'est là qu’il
trouve les étangs mordorés par les rayons du soleil jouant avec les nuages, c'est
devant cette terre alluviale et secrète qu’il découvre ses paysages préférés.
Autour de lui, de France, de Suisse, d'Italie (on pense à Fontanesi) les jeunes
artistes accourent, non pas pour créer une Ecole ou un Cénacle, mais pour profiter
de ses conseils et participer à ses campagnes de paysage.
La palette sombre et flamboyante de Ravier le rattache à Delacroix, à la facture
large et lyrique du grand Romantique. Les tons ne sont pas découpés, neutralisés
par les mélanges, ils obéissent au pouvoir spécifique du pigment, ils vibrent, fidèles
à l'émotion de l'impression, sensibles à la pulsion immédiate du geste.
L'Impressionnisme est là en puissance, dans ces pochades rapides, dans ces
séries obsédantes où, face au Soleil, à l’abri de tout repentir, Ravier tente de
pénétrer les secrets de la lumière.
Les ors, les roux, les gris, les dominantes rouges et bleues, chères à Delacroix,
sont juxtaposées à la manière de Monet et de ses disciples. Tout ce qui retranche
Turner du public mondain de Londres, les causes immanentes du scandale de la
première exposition des peintres et graveurs indépendants de 1874, se distinguent
dans les tentatives périlleuses et solitaires du peintre de Morestel.
Le divorce entre Ravier et le milieu bourgeois, dont il est issu, se trouve depuis
longtemps consommé. Son purgatoire sera long puisque hier encore, ses toiles
singulières, où toutes les scintillations de la lumière s’élancent avec le geste de
Mathieu, étaient obstinément laissés pour compte, réservées exclusivement à
quelques amateurs entêtés.
Carrand, lui-aussi, a longtemps partagé le destin de son ami. Aigué, vibrante, sans
aucune concession à l'art des Musées, sa démarche suit le ciel mouvant de sa
ville, les brouillards envoütants du Rhóne, la douce luminosité ouatée des Monts
d'Or lyonnais, le silence campagnard de la plaine dauphinoise, l'étrange fantas-
magorie des arbres dressés sur la nudité de l'horizon.
Les peintres de Barbizon ont peut-étre guidé, à ses débuts, sa main hésitante,
mais dés qu'il rencontre Ravier, il peut devenir lui-méme, apporter à ses travaux
cette humilité apaisante, cette simplicité éloquente, cette ferveur douloureuse qui
donnent à son ceuvre, une place privilégiée dans l'histoire du paysage francais.
A Collonges-au-Mont d'Or, sur les hauteurs du Mont Cindre, le long des rives de
la Saóne, semblable à Ravier, son maitre, il jette son regard vers le ciel, mais,
au lieu de fixer les jeux de contrastes, il contemple le monde fluide et toujours
recommencé des nuages, dont il est le premier avant les Nuagistes, à pénétrer les
richesses formelles et colorées.
Timide, tremblé, loin de tout effet, son trait est la projection ardente de lui-méme ;
l'espace qu'il définit, dans ses toiles, est encore atmospérique, mais il posséde la