7 N°III 2024 MuseoMag afin que les militaires puissent m’identifier comme photoreporter. Par cette interpellation ferme et directive, je saisis tout de suite son aura de leader, qu’il fait office de commandant des opérations – ce qui se vérifiera au cours de la journée. Il faudra attendre néanmoins 20 ans que le journal Público exhume de mes archives cette image et la rende iconique pour accompagner un éditorial célèbre au titre fameux «Os olhos do capitão» («Les yeux du capitaine»). Vous devenez par la suite le grand photoreporter du processus de la décolonisation: c’est un choix professionnel de votre part? Non, à l’époque je n’étais pas habilité à exprimer mes préférences de reportage. Il se trouve que per- sonne ne voulait se rendre dans les anciennes colo- nies car tous étaient obnubilés par ce qui se passait sur le continent. Toute cette effervescence faisait écran sur ce qui se passait dans les anciennes co- lonies. Qu’observez-vous alors? J’assiste à un authentique drame en raison du pro- longement de la guerre du régime antérieur, qui plus est doublé d’un processus de négation. La décoloni- sation ne s’est pas effectuée sans heurts car il n’y a pas eu de temps préalable pour des accords et des phases de transition. Le dialogue n’était plus pos- sible, c’était déjà trop tard: ce qui importait, c’était rapatrier de toute urgence les Portugais. L’afflux des retornados, des gens qui pour beau- coup n’avaient jamais mis les pieds au pays, a permis un vrai dynamisme au Portugal sur le plan économique. Le pays était sclérosé, très dépendant du pays. L’Etat pesait jusque-là à tous les niveaux, déterminant quasiment qui est riche et qui est pauvre. Avant le 25 avril, nombre de textes et d’articles étaient censurés par la PIDE, mais en allait-il de même de la photo? Plus tard même, vous ferez les frais de ces relents liberticides lors d’un séjour en Guinée... Oui, absolument, les images étaient elles aussi soumises à la censure. Je travaillais au sein d’une rédaction socialement très engagée, dirigée par la très grande journaliste Maria Antónia Palla [ndlr: mère du Premier ministre portugais sortant António Costa], une journaliste féministe très engagée dans la lutte anti-régime. Et sans surprise, j’ai vu un de mes reportages photos sur l’état de hôpitaux civils de Lisbonne censuré. En Guinée, après le 25 avril, je suis même fait pri- sonnier puis expulsé par le président Spinola pour ENTRETIEN avoir photographié des soldats qui exhibaient des drapeaux blancs. C’était insensé! Le coup d’Etat du 25 avril 1974 fait en tout cinq morts mais si l’on tient compte d’une temporalité plus large jusqu’à l’approbation d’une nouvelle Constitution en avril 1976, les victimes sont bien plus nombreuses. Le terrain en Afrique est particulièrement explosif. Êtes-vous pris de peur sur place? Evidemment que j’ai eu peur, j’ai d’ailleurs toujours eu peur sur des territoires en guerre car qui n’a pas peur est fou et surtout ne survit pas. De plus, entre l’indépendance du Mozambique et l’indépendance de l’Angola, je fais pas mal d’allers-retours pour fournir la rédaction en matériel. Par la suite, vous changez de position et passez de photojournaliste à photographe officiel de deux chefs d’Etat : Ramalho Enanes et Mário Soares. Qu’est-ce qui vous conduit à endosser un rôle si protocolaire? J’opère cette transition par pure question écono- mique. Si ça n’avait pas été le compagnonnage de Maria Antónia Palla, qui a eu une très grande in- fluence sur ma formation politique et journalistique, j’aurais quitté le journalisme plus tôt pour me tourner vers la publicité car le journalisme à l’époque était très mal payé (hélas!, encore aujourd’hui). C’était une option qui me séduisait moins mais j’étais alors marié, j’avais un enfant à charge… Vous avez traversé des difficultés qui vous ont conduit à faire des options de carrière alimentaires mais n’avez-vous jamais songé à quitter le Portugal? J’ai déjà eu cette tentation, mais néanmoins je ne suis jamais parvenu à demeurer longtemps loin de mon pays. Je me suis installé trois mois en Suède et au bout de ces 90 jours, j’ai craqué et suis retourné au pays. Le soleil, la lumière me manquaient trop… Quel bilan faites-vous de l’avancée du pays 50 ans après l’installation de la démocratie? C’est le jour et la nuit, le Portugal est un autre pays, en dépit de tous les problèmes que nous rencon- trons. Le Portugal est infiniment meilleur. Ce que nous traversons actuellement est une crise politique au coeur de laquelle la question de l’habitation pèse lourd: un problème grave et un réel défi pour notre avenir. Propos recueillis par Sonia da Silva Alfredo Cunha. 50 ans de photographie, à l’affiche jusqu’au 5 janvier 2025.