7 04 ‘ 2022 museomag INTERVIEW Jusqu’à aujourd’hui beaucoup d’observateurs avancent l’argument que l’occupation coloniale était légale à l’époque vu que le droit international de l’époque ne reconnaissait pas encore le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ni n’offrait de garantie internationale des droits de l’homme. D’aucuns estiment qu’une situation historique ne peut rétroactivement être jugée à l’aune de normes juridiques contemporaines. Que répondez-vous en tant que juriste et historien du droit à cette affirmation? Tout comme les historiens ont à cœur d’éviter les anachronismes, les juristes estiment que la légalité de telle ou telle pratique doit être jugée à l’aune du droit qui s’appliquait à l’époque. C’est la règle du «droit intertemporel». Comme celle-ci fut formulée pour la première fois à l’époque coloniale et permet aux anciens colonisateurs de se déclarer irresponsables de leurs actes, elle est aujourd’hui contestée. Certains auteurs estiment ainsi qu’on ne devrait pas l’appliquer à des crimes incompatibles avec le droit international actuel, comme l’esclavage, le génocide ou l’apartheid, car cela pourrait indirectement avaliser les conséquences actuelles de ces derniers. Toutefois, même en appliquant la règle du droit intertemporel, on peut douter de la légalité de nombreuses pratiques coloniales. Par exemple, lors du «partage de l’Afrique» en 1885, les colonisateurs s’étaient solennellement engagés à «veiller à la conservation» des populations locales. C’était évidemment incompatible avec des politiques comme celles menées par Léopold II au Congo ou l’Allemagne dans l’actuelle Namibie. Par ailleurs, la prise de possession de nombreux territoires n’a pu se faire qu’au mépris des traités signés avec les entités politiques locales. De ce point de vue, la légalité de la colonisation elle-même paraît contestable. Il y a quelques mois, le Parlement belge a mis en place une commission spéciale «Passé colonial» qui vous a entendu comme expert le 4 juillet. Vous y avez notamment évoqué la responsabilité juridique de la Belgique dans les massacres de masse perpétrés au Congo et dans le recours au travail forcé dans les colonies belges. Pour le Luxembourg – qui n’a jamais exercé, en tant qu’État, un pouvoir sur des territoires coloniaux et sur leurs habitants –, le degré de responsabilité est-il différent? Oui, juridiquement, la situation de l’État luxem- bourgeois n’est pas la même que celle de la Belgique. Le droit international distingue en effet entre les États directement auteurs d’actes illicites et les États qui