21 02 ‘ 2022   museomag 
un regard surplombant sur le monde en tant que 
chroniqueuse et éditorialiste. Les combats de cette 
«anti-idéologue forcenée» sont multiples et tendent 
tous vers la défense et l’illustration de deux valeurs 
inaliénables: «la raison et le raisonnable». 
Vous êtes née à Téhéran mais avez quitté le pays en 
1985 à la suite de la révolution islamique. Quelles 
images gardez-vous de votre pays d’enfance? 
Ayant quitté le pays natal à l’âge de huit ans, l’Iran se 
confond avec l’enfance. L’exil étant une claque qui vous 
déstabilise pour toujours, j’y ai perdu mon enfance, il 
n’était plus question d’être une enfant après l’exil. Ainsi 
le pays natal est devenu le paradis perdu, le paradis de 
l’enfance, des rires, des couleurs. Pourtant, la révolution 
islamique a recouvert mon pays natal de noir en 
l’espace de quelques heures, la violence, la mort, les 
bombes, les trahisons sont venus grignoter la joie. Mon 
paradis perdu est un paradis réécrit. Il fallait sauver 
l’enfance et à l’image de mes parents, qui ont continué 
de recevoir derrière les fenêtres couvertes de noir, de 
danser, de boire, de blasphémer malgré les interdits et 
le danger, j’ai résisté aux voiles noires en préservant 
mon enfance malgré les mollahs et la violence. Toutes 
les enfances sont réécrites pour devenir un réservoir 
d’espoir, un refuge, j’ai fait exactement la même chose. 
Si vous n’êtes plus jamais retournée en Iran, ce 
pays agit par contre comme un puissant fertilisant 
imaginaire puisque vos trois ouvrages ont partie 
liée avec vos origines. Est-ce une manière pour 
vous de fouler votre terre natale sans vous faire 
refouler? 
Je voulais déjà écrire, enfant, à Téhéran. J’ai voulu être 
un «écrivain français» à huit ans, après l’exil, alors que 
je ne parlais pas un mot de français. Comme tous ceux 
qui choisissent d’écrire, je vais creuser dans l’enfance, le 
temps de la surpuissance, qui est le véritable fertilisant 
de l’imaginaire. Mais si «Khomeiny, Sade et moi» est un 
récit politique de mon corps de femme, voilée en Iran, 
libérée en France, mon roman s’attache à une famille 
dysfonctionnelle qui est, certes, iranienne, mais surtout 
toxique. Enfin, l’«Éloge du métèque» est un essai qui ne 
se limite pas à l’Iran, loin de là, mais porte sur cette non- 
identité qu’est le métèque, cet être difforme mais libre. 
Connaissez-vous le mal du pays? Autrement dit, 
le bonheur que vous semblez trouver au pays de 
Victor Hugo, autre grand exilé, vous met-il à l’abri 
de la nostalgie? 
La nostalgie concerne ceux qui ont vécu davantage 
qu’une enfance ailleurs. Nous sommes tous 
ENTRETIEN 
nostalgiques de notre enfance, mais ceux qui, comme 
mes parents, se sont exilés vers 40 ans, quittaient non 
seulement l’enfance, mais une vie entière. Des amis, 
des habitudes, des paysages, des odeurs, des goûts. 
Des liens se sont brisés à jamais, toute une partie de 
leur vie appartient à un monde disparu. Ma nostalgie 
est littéraire: j’ai été élevée dans une atmosphère 
nostalgique mais je ne suis pas nostalgique. Ce serait 
par ailleurs absurde: comment regretter, espérer, rêver 
ce que je n’ai jamais vécu? 
Votre regard sur la France est critique, même 
sur son usage de la liberté d’expression: est-ce 
votre expérience de la censure en Iran qui vous a 
amenée à dénoncer une culture victimaire? 
Mon regard est critique sur tout! Pas seulement sur 
la France. J’ai cette chance inouïe de vivre dans une 
démocratie libérale, mes critiques visent à préserver la 
République. J’aime mon pays, en l’occurrence la France. 
Une séquence de mon enfance m’a marquée à jamais: 
après la révolution, mon père revenait chaque semaine 
de la librairie avec une pile de livres. Il s’asseyait et 
tournait patiemment les pages jusqu’à parvenir à 
des pages blanches qui signifiaient que la main de 
la censure était passée par là. Au fur et à mesure, les 
livres avaient de plus en plus de pages blanches. Il 
était temps de s’exiler. Je me dresserai toujours contre 
la censure, toujours. Censurer, c’est refuser l’accès au 
savoir, c’est nier le libre-arbitre, l’autonomie du lecteur. 
Naturellement, je me dresse contre la culture victimaire 
et son corollaire «la cancel culture» et le «wokisme». 
Je refuse la poussière sous le tapis, tout comme la 
réécriture historique. 
Dans «Éloge du métèque», vous dites qu’il est 
bon de refuser tout déterminisme, quel qu’il soit, 
pour jouir pleinement de sa liberté. Ce postulat 
ne vient-il pas occulter une éventuelle difficulté à 
vous définir, à cerner la part de l’origine persane 
et la part de l’ancrage français? 
Et pourquoi est-ce que cela devrait être simple de me 
définir? En quoi toute personnalité devrait être plus ou 
moins lisible? Pourquoi devrais-je lister ma part d’Iran 
et ma part de France? Je refuse les lignes indélébiles, 
elle sont un frein à la liberté. Je n’ai pas à justifier ce qui 
me vient de mon pays d’origine et ce qui me vient de 
ma patrie d’adoption.   
Je refuse le déterminisme car c’est une paresse: je suis 
la maison de mon père, la langue de ma mère, mes 
gènes hérités, ma religion, mon ethnie etc. Tout cela 
est le fruit du hasard, je n’ai aucun pouvoir sur ce qui 
est acquis à la naissance. Par contre, je suis ce que je