4 museomag 02 ‘ 2016 «Étonnant pays que ce Luxembourg qui a donné au XXe siècle un peintre plus important que l’Angleterre ou que l’Allemagne!» Ce jugement sur Joseph Kutter, publié en janvier 1952 dans la revue La Table Ronde, est de Bernard Dorival, à l’époque conservateur adjoint au Musée national d’art moderne de Paris à côté de Jean Cassou, conservateur en chef du même musée; tous les deux étaient professeurs à l’École du Louvre. Ceux qui de nos jours portent un regard de surplomb sur cette période et sourient malicieusement en lisant cette phrase oublient un peu trop vite la fierté que pouvait ressentir un minuscule pays de voir son principal artiste reconnu par des historiens de l’art parmi les plus illustres de la capitale française. Ils oublient aussi que beaucoup d’artistes et hommes de lettres, las de l’esthétique fasciste imposée par l’occupant, se tournaient alors tout naturellement vers la France dont la culture incarnait à leurs yeux la liberté et la modernité la plus radicale du moment. Et l’art moderne au service du nation branding – expression aujourd’hui à la mode – pratiqué à profusion par Joseph-Émile Muller, critique d’art et responsable du service d’éducation esthétique aux Musées de l’État, mais aussi grand ami de Cassou et de Dorival, n’avait pas manqué de porter ses fruits. Une rétrospective des œuvres de Kutter avait été présentée à Paris en 1951, et le Musée d’art moderne allait acquérir une des toiles majeures de l’artiste, L’homme au doigt coupé. À l’exemple des hommes d’État qui sont parvenus après-guerre à positionner le grand-duché sur le podium des grands, Muller réussira, sur le plan artistique, à faire reconnaître le Luxembourg comme un pays doté d’un art moderne authentique dont son représentant le plus illustre était son peintre fétiche Joseph Kutter. Quand j’ai commencé à exercer mes fonctions au Musée d’histoire et d’art au début des années 1980, les œuvres de Joseph Kutter occupaient, depuis toujours, trois grandes salles, les «salles Kutter», comme on les appelait déjà à cette époque, trois grands volumes haut de plafond aux cimaises blanches éclairées d’une lumière naturelle qui traversait un toit en verre, un sanctuaire à part, immuable, avec toujours les mêmes toiles accrochées aux mêmes endroits mais qui, pour s’être trop côtoyées, avaient cessé de dialoguer entre elles. Ce lieu dédié à la gloire d’un seul peintre tranchait avec d’autres salles que devaient se partager tous nos autres modernes. Les Klopp, Noerdinger, Rabinger et Schaack de l’entre-deux-guerres étaient accrochés dans une sorte de long couloir au sol Joseph Kutter au service du «nation branding» nouvel accrochage à l‘occasion du 75e anniversaire du décès de l‘artiste luxembourgeois (1894-1941) Le réaccrochage, qui révèle près de la moitié du fonds Kutter, permet de suivre l’évolution du peintre expressionniste. © éric chenal