71 La question du choix du style architectural répondait, certes, à la préoccupation essentielle de la recherche d’un plan ra- tionnel et fonctionnel, permettant un flux optimal des ser- vices, respectivement de la production. La fonctionnalité du plan est aussi déterminante pour l’immeuble à construire que le style à choisir, surtout que celui-ci exprimait l’appartenance à un groupe idéologique précis. Le plan n’est pas uniquement la transposition dans l’espace de l’organigramme du service étatique ou de l’entreprise de production. Il est aussi une pro- jection sur l’avenir, car il doit intégrer l’expansion du service, respectivement de la production, sans perturber le fonction- nement en place. Il définit également les sphères, non seule- ment d’activités, mais encore d’accès. Il prescrit le chemin à suivre pour atteindre un lieu déterminé, tout en excluant d’office toute autre voie de communication interne. L’archi- tecture des cours princières et des abbayes, mais aussi l’ar- chitecture militaire servit souvent de modèle aux bâtiments administratifs, aux écoles, aux entreprises de production. Il est vrai que la ville de Luxembourg était une ville forteresse, guère propice à l’éclosion d’une architecture civile, riche et développée. Située à l’écart des voies de navigation favorables au commerce, pauvre en richesses du sol, et démunie de toute cour princière ou épiscopale, la capitale grand-ducale ne pos- sédait guère de tradition architecturale qui aurait pu lui servir de source d’inspiration pour répondre aux besoins nouveaux qu’engendrait la ville de l’époque industrielle. Certes, il y eut un regain d’intérêt, surtout pour le patrimoine castral de la campagne, mais aussi pour les édifices religieux et civils que le Moyen Âge ou la Renaissance avaient légués. Toutefois, si tradition architecturale il y avait, elle résidait avant tout sur le plan militaire, et elle était le fruit des travaux entrepris par les différents régimes établis au pays depuis la prise de la forteresse par les Bourguignons. Mais cette question de l’héritage d’un patrimoine, respective- ment d’une tradition architecturale, ne devait pas être sures- timée. Le XIXe siècle était bien à la recherche du prototype de l’immeuble pouvant convenir aux différents besoins de la ville moderne. D’ailleurs, la généralisation des nouveaux matériaux de construction et le relativisme naissant face aux différentes orientations artistiques font reculer fortement cet intérêt pour le passé. Il est manifeste qu’on ne voulait nullement reproduire de l’an- cien, on était en aucune façon des nostalgiques du passé. Bien au contraire, le monde des architectes et des ingénieurs et de leurs maîtres d’ouvrage n’avait rien d’autre en tête que de déve- lopper un langage nouveau approprié aux besoins spécifiques du moment. Cette préoccupation permanente explique la re- cherche effrénée d’un plan rationnel, la réduction des formes architecturales du passé au simple rang d’inspiration condui- sant finalement à l’éclectisme. A défaut de savoir inventer une architecture moderne de toute pièce, si on voulait s’inspirer du passé, il fallait le faire à la lumière des nouvelles possibilités techniques et des nouveaux programmes de construction. En ce sens, l’historicisme est à la base de l’architecture mo- derne et contemporaine ! Comme donc aucun style du passé ne pouvait donner satis- faction, la question du style devint rapidement une question politique. Ainsi, la néo-Renaissance fut considérée comme un style libéral opposé au corporatisme ultramontain. Le choix du style reflète donc par une démarcation symbolique dans l’es- pace, la part du pouvoir suprême que détenait l’Etat, respec- tivement l’Eglise. A Luxembourg, cette rivalité entre pouvoir laïc et spirituel était revêtue d’un caractère particulier. La tension était nette, car Etat et Eglise se partageaient le même territoire ; les deux pouvoirs étaient occupés à mettre leurs or- ganigrammes en place, et à remplir la notion de « Nation » de sens et de valeurs en concordance avec leurs conceptions du monde respectives. D’autre part, la prédilection pour la néo- Renaissance française peut être comprise comme un moyen de démarcation culturelle face à l’emprise économique et po- litique de l’Allemagne. Combats d’idéologies dans l’architecture de la Belle Epoque ? Conférence par Dr. Robert L. Philippart, historien, jeudi 13 octobre 2011 au MNHA