HIPPOLYTE DAEYE 
l| est rare de rencontrer, face à l'incom- 
prehension et à la rudesse du monde, un 
être en qui le bon goût et la délicatesse de 
sentiments se complètent harmonieuse- 
ment. Ces éléments, qui confèrent à Hip- 
polyte Daeye sa valeur artistique et son 
importance dans le courant de la peinture 
flamande contemporaine, et l'effort continu 
que le peintre a fourni et tournit encore, ne 
nous permettent pas de rester indifférents, 
tant devant le succès mondain que devant 
le triomphe spirituel de l'artiste. 
Tout son plan de campagne se résume à 
une retraite stratégique, une solitude vou- 
lue après un premier contact décevant 
avec son entourage. Cette solitude devint 
la source d'énergie, où le « Moi » puisait 
sa force pour continuer la lutte avec plus 
d'acharnement que jamais. 
Daeye s'écarta du monde, non de la réa- 
lité; et c'est là la pierre de touche de sa 
personnalité d'artiste : en dépit de maitres 
et critiques, il repoussa la réalité « objec- 
tive » qui l'entourait pour lui substituer une 
réalité « subjective » qui, sans étre chimé- 
rique, le conduisit toutefois vers un monde 
meilleur, un univers créé par lui à l'image 
de sa profonde sensibilité, un univers d'oü 
le raffinement esthétique exclut toute bru- 
talité. L'artiste créateur a ce privilége insi- 
gne de pouvoir nous offrir une vie qui est 
en-dehors et au-dessus de la banalité de la 
vie quotidienne ; une vie qui nous est un 
refuge dans les heures de doute comme 
dans les instants oü l'esprit est assoiffé de 
beauté. ll suffit de s'abandonner totalement, 
comme lui et avec lui, à sa vision, à son 
art, pour partager cet état de gráce qui 
devient la propre religion de l'artiste, l'ex- 
Ec 
pression même de son acceptation de la 
vie. 
Cet isolement volontaire devait aboutir 
lentement mais sürement au plus pur des 
individualismes. Daeye a atteint la plus 
haute perfection dans cetle voie par une 
sévére délimitation de son sujet: les quel- 
ques paysages et portraits des premieres 
années de travail se voient bientót rempla- 
cés par d'innombrables études de bébés, 
d'enfants, de jeunes filles. Ces études té- 
moignent d'un style trés personnel, qui n'a 
cessé, au cours des années, de gagner en 
sobriété gráce à un dépouillement techni- 
que perpétuel et inlassable. 
Dans cette répétition d’un même thème, 
Daeye s'est astreint à ne rendre que l'es- 
sentiel, pour parvenir à exprimer la quintes- 
sence d'un état d'esprit, d'une silhouette, 
d'une attitude. Le résultat de ce travail in- 
interrompu et de cette discipline sévére ne 
se fit pas attendre : une acuité dans l'ex- 
pression et une forte personnalité artisti- 
que dont les caractéres, une fois qu'on a 
subi leur charme, sont de ceux qui ne 
s oublient pas. 
L'oeuvre de Daeye, sans étre vaste, séduit 
par la subtilité des nuances, par la délica- 
tesse et la fermeté d'âme qui s’y révèle. 
C'est l'âme d’un poète, d'un musicien qui, 
s'exprimant à travers la magie des formes 
et des couleurs, devient un des artistes les 
plus marquants de sa génération. 
Influencé par une mode à présent révolue, 
Albert Dasnoy attira jadis l'attention sur le 
parallélisme qui existait entre la vision de 
Daeye et l'art négre. Cette comparaison 
n'est exacte que pour autant qu'elle vise le 
désir de pureté originale de la conception. 
Mais il apparait aujourd'hui clairement que, 
par son extréme raffinement, l'art de Daeye