peintre de la « féerie bourgeoise ». Cette féerie se joue sous nos yeux dans une tonalité de mauves et de gris où subsistent peut- être les goûts mis à la mode par les recherches de sa jeunesse. Elle suffit, avec de délicats effets de lumière et un sens raffiné des matières, l'amour des fleurs, des porcelaines, des cristaux, des étoffes, à ce subtil coloriste. En Vuillard revivent quelques- unes des vertus que l'on reconnait à Chardin et, d'une facon plus générale, à l'art du XVIIIe siècle français. Des interieurs capitonnes Bonnard ouvre la fenétre. Cette méme minutie amusée, il la porte à la nature, brumeuse ou ensoleillée. Son nez flaireur hume l'odeur végétale, ainsi que devait le faire le bonhomme La Fontaine; son œil aigu dis- tingue les caprices de la couleur, les jeux infiniment imprévus de la lumière, qui se fait souveraine au point de se transformer en coulées d’or ou d'azur. Peu d'artistes ont été doués d'un pareil organisme sensoriel. Il faut l'avoir vu, dans son jardin du Cannet, inspecter le ciel, caresser les bourgeons d'une branche, pour comprendre à quel point d'intimité peut parvenir la com- munication d'un homme avec la nature. De là que son œuvre de coloriste reste, jusque dans son extrême vieillesse, d'une si jeune, si éblouissante et surtout si libre et audacieuse fraîcheur. Cet œil ingénu et ingénieux, cet œil magicien accomplit des mé- tamotphoses. Et sans qu'il ait jamais émis de théorie, ni se soif soucié d'en entendre, Bonnard, aux approches des quatre-vingts ans, apparaissait comme le plus révolutionnaire des peintres, celui qui substitue au monde extérieur une vision imprévue, inédite, singulière et où ce même monde extérieur délivre ses énergies et ses charmes, les purifie, les exalte. Trois maîtres, dont le dernier à son tour, vient à peine de nous quitter, trois maîtres qui se situent au commencement de l'art de notre temps, et se rangent en même temps dans la plus certaine et la plus glorieuse tradition de l'inventive école fran- caise. Nous espérons que nos amis de Luxembourg sauront retrouver en eux les essentielles vertus créatrices du génie de notre nation. D 31 JEAN CASSOU Conservateur en dief du Musée d’Art Moderne. 5