AVERTISSEMENT Dans un petit village enneigé de l’Oesling, où je me trouvais au début de l’année 1941, prospectant les greniers en quête d’objets d’art paysan pour notre mu- sée, j'appris au hasard d’un journal traïnant sur une table d’auberge la mort de Joseph Kutter, survenue le 2 janvier. Bien que je susse que Joseph Kutter fût ma- lade et qu’il fallât s’attendre au pire, cette nouvelle, brutale et inéluctable, me frappa de consternation. C’est que je ressentis immédiatement que dans l’ordre des valeurs spirituelles de notre nation une force de résis- tance essentielle venait de disparaître. Au moment pré- cis où l’envahisseur, nous forçant sous son joug, tentait d’abolir jusqu’à l’idée même de l’individu libre dans la nation souveraine et nous imposait la réalité de l'Etat totalitaire dominé par un seul homme et son clan, la mort nous enleva le plus bel exemple de liberté indi- viduelle en matière d’art que notre pays ait produit. Il restait bien l’oeuvre et son enseignement. Une exposition rétrospective s’imposait, qui eût montré l’évolution audacieuse quoique logique de la peinture de Kutter afin de la situer sur son vrai plan moral et d’en dégager les fortes leçons de courage et de probité artistique qu’elle contient. Mais à ce moment-là il ne pouvait venir à l’idée ni des amis du peintre ni des dirigeants du Musée de mon- ter une telle exposition.Tous nous ressentimes presque