Sur la couverture: Charles Despiau — L’Homme qui va se lever. Parc de Colpach
LES
MAYRISCH
L'apport et le rayonnement européen
d'une famille luxembourgeoise
DU 28 NOVEMBRE 1980 AU 4 JANVIER 1981
MUSEE D’HISTOIRE ET D’ART
LUXEMBOURG
Cette exposition est organisee par le Ministere des Affaires Culturelles du Grand-Duche de
Luxembourg.
Elle a été composée par Tony Bourg et Joseph-Émile Muller.
Les agrandissements photographiques sont dus à Marcel Schroeder.
Les organisateurs remercient toutes les personnes gráce à l'obligeant concours desquelles
cette manifestation a pu étre réalisée, en particulier les préteurs suivants qui ont bien voulu
mettre à notre disposition des documents, en partie inédits :
M. Andre Berne-Joffroy, Paris; Mme Andree Corre-Macquin, Lussac; Mme Ilse Curtius,
Bonn ; M. Alexis Curvers, Liège ; Mme Marie-Hélène Dasté, Saint-Cloud ; M. Evy Friedrich,
Luxembourg; Mme Catherine Gide, Paris; Mme Anne Gruner-Schlumberger, Paris ;
M. Jean-Claude Loutsch, Luxembourg ; M. André d'Ormesson, Ormesson-sur-Marne ; Mme
Jacqueline Paulhan, Paris; M. Alain Rivière, Viroflay ; Madame Marianne Seyer-Viénot,
Evigny ; Mme Robert Stumper, Luxembourg ; M. Rémi Viénot, Paris ; les Archives de l’Ar-
bed, Luxembourg ; les Archives de l’État, Luxembourg ; la Bibliothèque de l’Arsenal, Paris :
la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet, Paris ; la Bibliothèque Nationale, Luxembourg ; la
Bibliothèque Royale Albert Ier, Bruxelles ; la Croix-Rouge Luxembourgeoise ; le Musée
d'Histoire et d'Art, Luxembourg.
Imprimerie Centrale, societe anonyme, Luxembourg
C'est le public belge qui récemment a eu la primeur de cette exposition
consacrée à l’œuvre des Mayrisch et cela dans le cadre prestigieux
d’Europalia, a la Bibliotheque Royale Albert Ier à Bruxelles. Qui mieux que
cette famille luxembourgeoise aurait pu, en l'année commémorative de l’indé-
pendance belge, jouer le rôle d'ambassadeur de l'amitié que notre pays
éprouve à l'égard d'un voisin avec lequel le lient un passé et un destin long-
temps communs.
Tout le monde admet chez nous qu'aprés la premiére guerre mondiale les
Mayrisch ont travaillé, sur les plans économique et intellectuel, au rapproche-
ment des peuples et ont fait de Colpach, leur demeure privilégiée, un lieu
de réconciliation, un «noyau de la future Europe», comme l'écrit Paul
Desjardins. Un haut-lieu de la culture également !
Les Mayrisch ont montré ce que peut l'initiative privée dans les domaines
national et international. Ils occupent une place d'honneur dans l'histoire du
petit Luxembourg et ils figurent à bon droit dans la liste de ceux qui ont
servi la promotion de l'idée européenne. Afin de rappeler ces faits à nos
compatriotes et surtout afin de mieux en informer les jeunes générations, il a
semblé opportun de montrer cette expostion aussi à Luxembourg, l'autre ca-
pitale qui héberge des organes importants de la Communauté européenne.
Comme cadre de cette manifestation notre Musee National s’impose tout
naturellement. En effet, il a le privilége d'étre depuis peu le dépositaire d'une
partie de l'impressionnante collection d'ceuvres d'art qui ornaient jadis la pro-
priété des Mayrisch-de Saint-Hubert à Colpach, cháteau et domaine qui ont
été, on le sait, généreusement légués à la Croix Rouge luxembourgeoise.
Pierre Werner
President du Gouvernement luxembourgeois
Ministre des Affaires Culturelles
Parmi les Luxembourgeois dont l'action et le rayonnement ont dépassé les
frontiéres du Grand-Duché, il y a deux personnalités qui émergent et qui, en
raison notamment de ce qu'elles ont fait pour l'entente internationale, méri-
tent d'étre particuliérement considérées à l'heure actuelle : Émile Mayrisch et
son épouse Aline de Saint-Hubert. Deux personnalités fort distinctes, dont
chacune est puissamment attachante.
I.
Lui, un chef d'industrie, l'un des créateurs et, aprés 1920, le président de l'Ar-
bed, un homme d'action dans toute la force du terme, robuste, dynamique,
réaliste, résolu, mais aussi un homme à idées, et certaines d'entre elles ont
été si audacieuses que trente ou cinquante années plus tard encore on les a
jugées vivantes et fécondes. C'est le cas en particulier de l'idée qu'il avait de
chercher, dès le début des années vingt, à réconcilier la France et l’Alle-
magne.
Elle, Madame Mayrisch, une femme intelligente, sensible, cultivee, preoccu-
pée par les problémes moraux et spirituels, mais n'ignorant pas pour autant
les réalités sociales et se souciant toujours de ceux qui connaissaient la géne,
la maladie, le malheur. Elle a subventionné des écrivains, des revues litté-
raires, des institutions culturelles, mais aussi des œuvres philanthropiques. Et
si elle a écrit, elle a également traduit (ou aidé à traduire), en français ou en
allemand, des textes qu'elle affectionnait. Nombreux ont été ses amis écri-
vains: Maria van Rysselberghe, Andre Gide, Jean Schlumberger, Jacques
Riviere, Bernard Groethuysen, Jean Paulhan, Ernst Robert Curtius, Annette
Kolb, Marie Delcourt, Henri Michaux, etc.
Afin d’illustrer les röles qu’Emile et Aline Mayrisch ont tenus sur les plans
économique, culturel, social et politique (au meilleur sens de ce mot), il nous
a paru indiqué de citer dans la mesure du possible les témoignages de ceux-
là mémes qui les ont fréquentés. Ces témoignages offrent en effet d'autant
plus d'intérét qu'ils sont signés de noms dont le prestige n'a pas besoin
d'étre souligné.
Un certain nombre d'oeuvres d'art se trouvent ajoutées aux photographies et
aux autres documents. Elles ont appartenu aux Mayrisch. Cependant il faut
dire qu'elles ne laissent plus qu'entrevoir ce que leur collection a été, car des
ceuvres maitresses de Bonnard et de Vuillard (pour ne mentionner que celles-
là) en faisaient partie en plus de celles que l'on voit ici.
Tony Bourg
Joseph-Emile Muller
Outre les textes qui figurent sur les panneaux, ce catalogue reproduit divers documents, dont
certains sont inédits. Marqués d'un Bi, ils suivent les textes auxquels ils se rapportent.
Sauf indication contraire, les citations sont extraites de Co/pacb, livre publié par un groupe
d'amis de Colpach (2e édition, Luxembourg 1978).
Les documents présentés en vitrine (livres, revues, lettres, articles de presse, photos, etc.) ne
sont pas mentionnés dans ce catalogue.
à
Emile Mayrisch
par
Theo van Rysselberghe
Emile Mayrisch (1862-1928)
« Tout Européen se doit d'allumer un bátonnet d'encens à la mémoire d'Émile Mayrisch. Il
est injuste de ne trouver mention ni de sa personne ni de son ceuvre dans les ouvrages nous
proposant l'explication des courants qui, à cette époque [les années 20], auraient pu entraîner
l'Europe vers un destin autre que celui de nouveaux bombardements. Les historiens se jet-
tent sur les hommes d'État (. . .) Ils les jugent sur documents et, pour le reste, ignorent ce qui
n’a pas été écrit. Aussi ont-ils passé à côté d’Émile Mayrisch sans l’assentiment duquel des
dizaines d'hommes publics qui grenouillaient entre Rhin, Meuse, Escaut et Moselle n'au-
raient risqué ni un saut, ni une brasse. »
Louise Weiss
Extrait de Mémoires d'une Européenne, tome 2 (Payot, Paris, 1969).
Aline de Saint-Hubert (1874-1947)
épouse d'Émile Mayrisch (depuis 1894)
« On se souviendra longtemps au Luxembourg, à Paris, en Allemagne, à Bruxelles de cette
femme intelligente (. ..) qui recevait si gracieusement artistes, savants, infirmières, écrivains,
voyageurs, dans ce château [de Colpach] où, grâce à sa générosité, des hommes et des
femmes fatigués trouvent aujourd'hui un repos ennobli de beauté et du rayonnement de
deux grandes mémoires. »
Marie Delcourt
« Aline de Saint-Hubert (...) n'avait bénéficié d'aucun entraînement universitaire ; (.. .) mais
de trés bonne heure il y eut chez elle une aspiration exigeante qui la portait à chercher en
toute chose la plus haute qualité. Ce refus de trouver du contentement dans ce qui est de
niveau moyen fut un des ressorts essentiels de son caractére et domina la formation de ses
goûts. »
Jean Schlumberger
Le texte de Marie Delcourt est extrait de l'Annuaire de la Société des Amis des Musées (Luxembourg, 1949).
Aline Mayrisch-
de Saint-Hubert
La carriere d’Emile Mayrisch
En 1897, Émile Mayrisch, qui a étudié à l'École Polytechnique d’Aix-la-Chapelle, est
nommé directeur de l'usine de Dudelange.
À son initiative et à celle du Belge Gaston Barbanson se crée en 1911 l'A.R.B.E.D. (Aciéries
Réunies de Burbach-Eich-Dudelange), qui devient l’un des principaux ensembles métallur-
giques de l’Europe. Émile Mayrisch en sera le premier directeur technique.
En 1920, il est promu president de la Direction d’Arbed.
Rencontres decisives
Des 1898, Aline Mayrisch-de Saint-Hubert collabore à la revue L'Art moderne que publie à
Bruxelles Octave Maus, l'animateur du Cercle des XX et de La Libre Esthétique.
Vers 1901, elle rencontre à Luxembourg Maria van Rysselberghe (1866-1959), la femme du
peintre Théo van Rysselberghe, avec laquelle elle se liera d'amitié.
C'est à son intention que Maria van Rysselberghe commencera en 1918 à rédiger ses notes
de journal sur André Gide, qui deviendront les quatre volumes des Cahiers de la
Petite Dame (1918-1951).
7
Gráce à ses contacts avec la famille de Mlle Berthe Gansen d'Eich, qui épousera en 1884 le
docteur Auguste Weber, un cousin d'Émile Mayrisch, la future Mme van Rysselberghe fit,
depuis l'áge de neuf ans, plusieurs séjours au Luxembourg. Dans une lettre adressée à Robert
Stumper, elle écrit: « Je connaissais bien Émile Mayrisch et toute la famille (Metz, Weber,
etc.) ; plus tard, n'étant plus venue régulièrement à Luxembourg, je n'avais jamais eu l'occa-
sion de rencontrer sa femme et Madame Auguste Weber, avec qui j'étais trés liée, ne cessait
de me dire que cette rencontre devait absolument avoir lieu, que nous étions faites pour
nous convenir et c'est chez elle, vers 1901, que je vis Madame Mayrisch pour la premiére
fois. Mais sa valeur intellectuelle, je la connaissais par les récits d'Octave Maus.»
n
Maria van Rysselberghe
par
Theo van Rysselberghe
L’amitie d’Andre Gide
En février 1903, A. M. de Saint-Hubert publie à Bruxelles dans L’Art moderne un article sur
L'Immoraliste d'André Gide (1869-1951), qui a paru en 1902.
Envoyé à Gide par Mme van Rysselberghe, cet article est à l'origine des relations amicales
qui existeront désormais entre Mme Mayrisch et l'écrivain francais.
En aoüt 1903, ils feront, avec Mme van Rysselberghe, un voyage en Allemagne
(Weimar, Berlin, Dresde). À Weimar, Gide donnera une conférence sur L'Importance du
public. Is y visiteront une exposition de peinture française (où figure Van Rysselberghe).
1
En 1914, Aline Mayrisch, Andre Gide et Henri Gheon font un voyage de six semaines en
Turquie et en Grece.
Aprés son retour, Henri Ghéon écrit à Mme Mayrisch : « Oui, c'était aussi une épreuve pour
« 97 . 9 P . .
notre amitié. Mais comme vous me l'avez rendue facile ! Ces six semaines compteront pour
moi parmi les meilleures de mon existence ».
Mme Mayrisch et R.M. Rilke
Dans La Nouvelle Revue Française, qu’elle soutient dès ses débuts, Mme Mayrisch publie
en juillet 1911, sous le nom de Saint-Hubert, un article sur Rainer Maria Rilke et son der-
nier livre Les Cabiers de Malte Laurids Brigge, article suivi de fragments de l'ouvrage tra-
duits par André Gide.
« C'est elle, la premiére, dira Gide, qui m'a fait connaitre Rainer Maria Rilke, m'a aidé à le
comprendre et appris à l'aimer. C'est avec elle que j'ai traduit les premiers fragments des
Cahiers de Malte Laurids Brigge, alors méme que le nom de Rilke était encore inconnu en
France. »
Citation extraite d'une lettre adressée à Robert Stumper en 1947
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Andre Gide
par Theo van Rysselberghe
André Gide à Dudelange
En janvier 1919, André Gide vient pour la premiére fois chez les Mayrisch à Dudelange, où
il séjournera à quatre reprises. Il y travaille à son roman Les Faux-Monnayeurs, corrige les
épreuves de La Symphonie pastorale, fixe le premier tirage de Si le grain ne meurt, écrit des
lettres à Edmond Jaloux, Paul Valéry, etc.
« Je travaille, confie-t-il le 26 juillet à son Journal, dans la bibliothéque de Madame May-
risch, un des plus exquis laboratoires qui puissent se réver. »
Le 16 mai, il écrit: « J'ai passé dans le Luxembourg une quinzaine des plus instructives ;
(. ..) visitant (. . .) les fermes modèles de Mayrisch et les forges et hauts fourneaux — et sur-
tout une école professionnelle prodigieusement bien aménagée, pour les enfants des ouvriers
des usines ».
La premiere de ces citations figure dans le Journal des Faux-Monnayeurs (Gallimard, Paris), la seconde dans une
lettre inédite adressée le 16 mai 1919 à Eugéne Rouart (collection particuliére, Luxembourg).
li Lors du séjour qu'il fait à Dudelange en septembre 1919, Gide a un entretien avec le journa-
liste luxembourgeois Frantz Clément, qui prépare un livre sur Das literarische Frankreich
von heute. Dédié à Mme Mayrisch, l'ouvrage paraitra en 1925 à Berlin (Éditions Ullstein).
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Le chäteau de Colpach
Les Mayrisch à Colpach
En 1920, les Mayrisch s’installent au chäteau de Colpach.
« Désormais, écrit le professeur Jacques Bariéty, les activités de M. Mayrisch et celles de Mme May-
risch se rejoignent, l'un et l'autre se consacrant à travailler à combler le fossé entre la France et
l'Allemagne, lui dans le domaine des industries de l'acier, elle dans le domaine des idées ».
À cette fin, ils font se rencontrer chez eux dès 1920 André Gide et Walther Rathenau, qui devien-
dra ministre des affaires étrangères de la République de Weimar.
« Entre les deux guerres mondiales, écrit encore J. Bariéty, les rapports franco-allemands ne se lais-
sent pas réduire à une dimension bilatérale ; ils mettent en cause l'équilibre et l’évolution de
l’Europe en général, et finalement la paix du monde. »
Citations extraites du livre Les Relations franco-allemandes apres la Premiere Guerre mondiale (Editions Pedone,
Paris, 1977).
14
Colpach, lieu de rencontres
De nombreuses personnalités sont accueillies à Colpach. Parmi elles :
les écrivains André Gide, Jean Schlumberger, Jacques Riviére, Henri Ghéon, Paul Claudel,
Jules Romains, Jean Paulhan, Jean Guéhenno, Henri Michaux, Maria van Rysselberghe,
Alexis Curvers, Annette Kolb, Joseph Breitbach, Louise Weiss ;
les philosophes Bernard Groethuysen, Paul Desjardins, Hermann von Keyserling, Karl
Jaspers ;
les hommes politiques Walther Rathenau, Hendrik de Man, Richard Coudenhove-
Kalergi, Wladimir d’Ormesson ;
les professeurs Marie Delcourt, Ernst Robert Curtius, Friedrich Gundolf, Henri Lichten-
berger, Edmond Vermeil ;
les physiciens Paul Langevin et le duc de Broglie ;
le directeur du Musée Guimet à Paris Joseph Hackin ;
le directeur du Théâtre du Marais à Bruxelles Jules Delacre ;
la comédienne Gertrud Eysoldt ;
les architectes Otto Bartning et Auguste Perret ;
le peintre Théo van Rysselberghe ;
le sculpteur Charles Despiau.
« Quelle joie, quelle aise de se retrouver dans cette maison de liberté ».
Maria van Rysselberghe
Jean Schlumberger
Cofondateur de la N.R.F, ami de Gide, Jean Schlumberger (1877-1968) devient tout naturel-
lement un ami des Mayrisch, d'autant plus que, né en Alsace, il se préoccupe lui aussi des
relations franco-allemandes.
Gráce à l'entremise de Mme van Rysselberghe, il avait rencontré Émile Mayrisch déjà pen-
dant la guerre, en Suisse, et avait reçu de lui, au sujet de l'état de l'industrie allemande, « une
documentation si précieuse, écrit-il, qu'aussitôt après l'armistice le Grand Quartier [français]
souhaita une fois encore se renseigner auprès d'un informateur si sûr et m'envoya en mis-
sion au Grand-Duché. Premier voyage suivi de beaucoup d’autres. »
Citation extraite de Jean Schlumberger : (Euvres, tome 5 (Gallimard, Paris, 1960)
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Jacques Riviere
Jean Schlumberger
Jacques Riviere
Voulant donner au quotidien liberal Luxemburger Zeitung quelque envergure europeenne,
Emile Mayrisch y fait collaborer, dans les annees vingt, Ernst Robert Curtius, Marie Del-
court, Annette Kolb, Kasimir Edschmid, Pierre Vienot, Georges Gabory, Jean-Paul Allegret,
et surtout Jacques Rivière (1886-1925), directeur de La Nouvelle Revue Française, qui est en
relations avec Mme Mayrisch depuis 1912. Il séjournera quatre fois à Colpach et publiera
dans le journal luxembourgeois (1922-1924) vingt-deux articles centrés sur l'actualité poli-
tique, en particulier sur le problème franco-allemand.
En accord avec les Mayrisch, il dit notamment : « nous sommes de ceux que l'Europe aussi
intéresse, et qui croient à son unité, et qui font des voeux pour que cet organisme, le plus
complexe, le plus délicat, le plus intelligent qu'il y ait au monde, retrouve enfin la santé.»
Ernst Robert Curtius
Professeur allemand, specialiste de la litterature francaise, Ernst Robert Curtius (1886-1956)
publie en 1919 le livre Die literarischen Wegbereiter des neuen Frankreich. Cet ouvrage,
écrit-il, « fut présenté aux lecteurs de la NR.F, en 1920, par Alain Desportes, pseudonyme
de Madame Émile Mayrisch.
C'est dans sa belle propriété de Colpach (...), que je rencontrai Gide en 1921. De ce week-
end est née une amitié de trente ans. Elle me conduisit à Pontigny, à Paris, à Cuverville,
comme elle conduisit Gide à Heidelberg, à Bade, à Bonn. »
^1
E.R. (= Ernst Robert Curtius) me disait souvent ce que Colpach signifiait pour lui aprés la
premiére guerre mondiale. Les sentiments nationalistes étaient encore trés forts, le contact
entre les nations presque impossible. À Colpach on rencontrait des hommes venant du pays
récemment encore ennemi, on pouvait parler tranquillement de ses problémes et l'on était
toujours sûr d’être compris (.. ))
Ernst Robert, par son livre L'Esprit allemand en danger, était dès le début persona non
grata pour les hitlériens. Il n'a jamais été membre d'une des nombreuses organisations na-
zies et disait : « Si l'on veut me mettre à la porte, eh bien, qu'on le fasse.» Et dans une situa-
tion pareille il y avait Colpach, où l'on pouvait rencontrer des amis et des gens que l'on
connaissait de longue date et qui étaient à méme de comprendre ce qui se passait de conster-
nant dans l'autre pays.»
Lettre inedite d’Ilse Curtius, 24 fevrier 1980. Extrait traduit de l’allemand.
| R
Walther Rathenau
Ernst Robert Curtius
Bernard Groethuysen
Le philosophe Bernard Groethuysen (1880-1946), qui est a Paris lecteur aux Editions
Gallimard, séjourne plusieurs fois à Colpach.
C'est lui « qui aplanit » à Mme Mayrisch, dit Jean Schlumberger, « l’acces des rudiments de
philosophie sur lesquels appuyer sa pensée, et parmi les familiers de sa maison une mention
toute particulière doit être faite de cet homme doux et charmant (...) Ce n'était pas un des
moindres paradoxes de la vie de Colpach que la présence de ce communiste, commentateur
de saint Augustin, à côté du R.P. de Menasce, de l’ordre de saint Dominique. »
Malade, Groethuysen viendra d'ailleurs en 1946 à Colpach pour se reposer, mais il devra étre
transporté dans une clinique à Luxembourg oü il mourra peu aprés. Il sera enterré au cime-
tiére de Fetschenhof. Jean Paulhan, son ami, qui l'a vu s'éteindre, consacrera à cette mort un
texte que la N. R. F. publiera en 1969.
il Dans Mort de Groetbuysen à Luxembourg — Clinique Sainte-Élisabeth à Luxembourg le
27 (en réalité le 17) septembre 1946 — 13h30 (La N R. F. du ler mai 1969), Jean Paulhan
relate que « Groeth, au cours de la nuit précédente, avait à plusieurs reprises prononcé le
nom de Colpach. Alix [Guillain, sa compagne] lui ayant demandé : ‘C’est à Colpach que tu
voudrais aller ? il avait répondu oui. Or ce transfert à Colpach se trouvait après enquête faite
impossible (.. .) car Loup [Mme] Mayrisch, malade elle-même et souffrant, plus encore que
de son albuminurie ou de la présence d'urée dans son sang, d'une neurasthénie inguéris-
sable, n'eüt pu revoir son vieil ami ni le sentir présent dans la maison, sans se trouver
en grand péril elle-méme. Tel était du moins le sentiment du docteur Weber qui la
soignait (.. .). »
Les Decades de Pontigny
Aux côtés de ses amis écrivains Gide, Schlumberger, Rivière, Curtius, etc, Mme Mayrisch as-
siste à différentes Décades de Pontigny (Yonne), ces réunions internationales d'intellectuels
qu'organise Paul Desjardins (1859-1940).
Dans l'invitation que ce dernier lui adresse en 1924, il insiste sur l'amitié et l'identité des
buts qui unissent Colpach à Pontigny, « deux petits noyaux de la future Europe ».
20
Jean Paulhan
B. Groethysen et Alix Guillain à Colpach
Trois mois auparavant, Desjardins a fait à Luxembourg, à l'Arbed, une conférence
intitulée Où en est la reconstruction de l'Europe ? À cette occasion, il a eu avec Émile
Mayrisch des conversations « d’un vif intérêt », note-t-il.
Joseph Hackin
«Il y a plus d’une vingtaine d'années, écrit Mme Mayrisch en 1945, aprés un entretien à Pon-
tigny sur des questions de religion comparée, je disais à l’un des savants présents
(c'était, je crois, Monsieur Masson-Oursel) tout l'intérét que m'inspirait ce probléme et la dif-
ficulté que j'avais à m'y orienter. ‘Mais, s’écria-t-il vous avez à Paris un compatriote de tout
premier ordre qui vous renseignerait admirablement là-dessus. C’est Monsieur Joseph
Hackin.’ (...) quelques semaines après j'ai pu, grâce à lui, rencontrer Joseph Hackin (...)
tout de suite plein de gentillesse en présence de mon pressant questionnaire. J'ignorais jus-
que-là le Musée Guimet, qu'il dirigeait, et à peu prés tout de l'orientalisme, et il se préta de
bonne grâce à toutes les questions. (.. .) J'ai eu l’occasion de le bien connaître et la faveur de
son amitié. »
Marie Delcourt
Marie Delcourt (1891-1979), professeur à l'Université de Liége, est trés liée avec les Mayrisch.
On la voit fréquemment à Colpach et dans divers articles elle souligne l'importance de ses
amis.
«Gräce à Émile et Aline Mayrisch, constate-t-elle, il y eut entre France, Belgique et Alle-
magne un lieu élu d'oü partaient une impulsion et un encouragement pour toutes les
initiatives intellectuelles hardies, exposées, à cause de cela, à l'indifférence du grand nombre
et à l'échec matériel. »
Annette Kolb
L'écrivain Annette Kolb (1875-1967), dont le père était Allemand et la mère Française,
rencontre Mme Mayrisch pour la première fois peu après 1918. Elle la reverra souvent et
22
Marie Delcourt
Annette Kolb
l'appréciera au point de déclarer: « Elle est inoubliable, parce qu'elle était unique: la
dernière Européenne de grand style entre les deux guerres et après, jusqu'à sa mort. (.. )»
« Trés gátée par la fortune, dit encore Annette Kolb, le luxe personnel auquel elle s'adonna
était bien restreint. La seule piéce vraiment somptueuse dans son cháteau de Colpach était la
bibliothéque qui occupait presque toute l'aile gauche du premier étage.»
Le Théâtre du Vieux-Colombier à Paris
Les relations amicales que Mme Mayrisch entretient avec Mme van Rysselberghe et Andre
Gide la conduisent souvent à Paris où elle rencontre les principaux collaborateurs de La
Nouvelle Revue Française. Parmi eux, Jacques Copeau (1879-1949), créateur en 1913 du
Théâtre du Vieux-Colombier, qu'elle subventionne.
« Genéve Dimanche 28 mai 1916
Revu à Champal, Hótel Beauséjour, avec une grande émotion, Madame Mayrisch relevant
d'une longue maladie. A peine vieillie, un peu plus pále, un peu blanchie, mais la silhouette
la méme, son air cavalier, quand elle vient à moi sous les grands marronniers, dans sa robe
de satin noir, et son panama relevé de cóté, et que j'agite de loin vers elle mon chapeau. En
lui baisant la main, des larmes me montent aux yeux et m'empéchent un instant de parler.
Je revois les jours de Pontigny, la course à Vézelay ...»
Journal inédit de Jacques Copeau. Édition en préparation par Claude Sicard aux Editions Gallimard.
Le Theätre du Marais à Bruxelles
Le Theätre du Marais, que Jules Delacre (1882-1945) ouvre à Bruxelles en 1922, est soutenu
dès le début par les Mayrisch.
En 1922, l'Arbed l'invite à Luxembourg pour qu'il donne une représentation lors de l'inaugu-
ration de son nouveau siége social.
JA
Le Comite franco-allemand
Le 30 mai 1926, des personnalites allemandes et francaises, reunies a Luxembourg, sur invita-
tion d'Émile Mayrisch, fondent le Comité franco-allemand d'Information et de Documenta-
tion. Ce Comité veut rapprocher les deux pays en éliminant « les causes injustifiées de dé-
fiance réciproque ». Émile Mayrisch est élu président à l’unanimité. Deux bureaux d’informa-
tion sont installés, l'un à Paris, qui sera dirigé par le docteur Krukenberg, l'autre à Berlin,
dont le directeur sera Pierre Viénot, le premier à avoir eu l'idée de ce Comité.
a
a
« Vers la fin de 1924 Vienot me mit au courant d'un projet qu'il avait conqu. Il venait de sé-
journer en Allemagne. Il revenait de ce voyage frappé — et angoissé — par l'Himalaya d'in-
compréhension qui séparait l'opinion française et l'opinion allemande. Pourtant, de part et
d'autre, un sourd besoin de détente se faisait sentir. (...) À la faveur de la détente que la
conclusion des accords de Locarno librement consentis par l'Allemagne devait bientót engen-
drer, Pierre Viénot jugea le moment venu de mettre en ceuvre l'idée qu'il nourrissait depuis
quelque temps. (...) Pour constituer l'organisme franco-allemand qu'il avait congu, il fallait
une 'clé de voüte' qui n'appartint ni à un pays ni à l'autre. Une personnalité luxembour-
geoise de premier plan s'imposait alors, celle de M. Albert [en fait Emile] Mayrisch. »
Extrait de Une tentative de rapprochement franco-allemand entre les deux guerres par Wladimir d’Ormesson, de
l’Académie française. La Revue de Paris, février 1962.
L'Entente Internationale de l'Acier
Le 30 septembre 1926, l'Entente Internationale de l'Acier, dont Émile Mayrisch a été le prin-
cipal promoteur, est signée à Bruxelles par les sidérurgistes allemands, belges, français,
luxembourgeois et sarrois. Afin d'éviter la concurrence anarchique et la surproduction, l'ac-
cord fixe la quantité d’acier que chaque pays est autorisé à produire. Émile Mayrisch devient
le président de l’E.l.A., dont le siège social est à Luxembourg.
En février 1927, l'Autriche, la Hongrie et la Tchécoslovaquie adhérent à l'Entente, qui ac-
quiert ainsi une dimension véritablement européenne.
~ 4
Membres du Comite franco-allemand
Wladimir d’Ormesson
d
Alfred von Nostitz-Wallwitz
Membres du Comite franco-allemand
Andre Siegfried
Maurice de Broglie
L'aieul de la Communauté Charbon-Acier
«Les Six du Marche Commun et des Patries signaient donc les extraordinaires Traites de
Paris en 1951 et de Rome en 1959. Peut-étre du fait de ses plans coopératifs incroyablement
hardis en ces temps de réglements de comptes entre vainqueurs et vaincus, l'aieul de la Com-
munauté Charbon-Acier est-il Émile Mayrisch, de notre Luxembourg ? Mayrisch, dont les
entreprises conféraient une dimension internationale à son pays. Mayrisch, ce bourgeois im-
périal au teint fleuri qui, dés 1921, m'introduisait auprés de ses pairs, les industriels de la
Ruhr, en vertu de mon engagement européen. »
Strait du discours prononcé le 17-7-1979 au Parlement Européen a Strasbourg par la doyenne d'áge, Mme Louise
e1ss. ’
Richard Coudenhove-Kalergi
Richard Coudenhove-Kalergi (1894-1972), fondateur du mouvement paneuropeen, fait en
janvier 1928 une conférence à Luxembourg sur les idées qu'il défend. Il est à cette occasion
l'hóte d'Émile Mayrisch, qui porte un vif intérét au mouvement paneuropéen.
Emile Mayrisch precurseur
Des 1909, Émile Mayrisch projette de construire au Luxembourg, sur l'Our et la Süre, des
barrages, qui seront réalisés un demi-siécle plus tard.
Dans les annees vingt, il envisage la construction, pres de Gand, d’une usine maritime, qui,
appelee Sidmar, sera bätie par l’Arbed apres 1960.
La reconciliation franco-allemande, qui le preoccupe tellement, devient, apres un second
conflit mondial, une donnée majeure de l'histoire européenne.
L'Entente Internationale de l'Acier, dont il est l'un des principaux artisans, préfigure la Com-
munauté Européenne du Charbon et de l'Acier.
IRQ
Émile Mayrisch docteur honoris causa
Deux fois en 1927, Émile Mayrisch est nommé docteur honoris causa.
L'Université de Heidelberg lui confére ce titre pour les services qu'il a rendus à l'entente des
peuples.
L'École Polytechnique d'Aix-la-Chapelle insiste sur son apport à la technique industrielle,
La mort d’Emile Mayrisch
Le 5 mars 1928, Emile Mayrisch, en route pour Paris, meurt d’un accident de voiture pres de
Chälons-sur-Marne.
« (. ..) si affreuse que soit la mort, je trouve cette mort si belle, — en pleine force, en pleine
activité, pleine jeunesse encore — que je me prends à l'envier. Puissions-nous laisser à ceux
qui nous aiment une image aussi digne, aussi compléte et peu diminuée!» Andre Gide
« Avec son ıntelligence et sa vıtalite, il nous apparaissait comme une sorte de demi-dieu, rus-
tique et puissant, (...) un être ami des hommes, qui prend leur défense contre les
caprices du Ciel, un être fait de la même matière que nous, obéissant aux lois de la matière
et qui ne pouvait succomber que pour avoir, un jour de hâte, sur une route, voulu vaincre ces
lois — par la vitesse.” Jean Schlumberger
La personnalité d'Émile Mayrisch
« Ses adversaires pouvaient sentir en lui un redoutable rival, mais guére un ennemi. Chaque
+ De > > , pe / S / .
fois qu'il l'a pu, c'est par l'accord, non par la lutte, quil a cherché à résoudre les conflits. »
«On ne pouvait rencontrer d’esprit plus libre de prejuges que le sien. Les mots, les conven-
tions, les usages, tous ces écrans qui cachent la réalité, il les écartait avec une indépendance
absolue. »
« Peu d'esprits étaient moins mystiques, si l'on entend par ce mot une certaine disposition à
résoudre les problèmes humains par des postulats surnaturels. Son sens pratique, ses succès,
l’efficacité tant de fois démontrée de son action, tout devait le porter à penser que l'homme
peut beaucoup pour sa propre destinée. »
Jean Schlumberger
IC
Soutien aux adversaires des nazis
Aprés l’avenement de Hitler, Mme Mayrisch accorde son soutien à des écrivains antinazis
émigrés. Elle aide en particulier Annette Kolb et, lorsque celle-ci doit fuir l'Allemagne, elle
l'accueille à Colpach.
D'autre part, elle envisage la publication d'une revue des écrivains en exil et, préte à la sub-
ventionner, elle a des contacts avec Jean Schlumberger et avec leur ami commun Joseph
Breitbach, écrivain né à Coblence et vivant depuis 1929 à Paris. La revue projetée sera pu-
bliée à partir de 1937 à Zurich par Thomas Mann et Konrad Falke sous le titre Mass und
Wert.
«La revue allemande libre, qui est si attendue, semble devenir une realite, mieux, la chose
est décidée. Une dame riche, aimant la littérature, qui désire d'ailleurs rester dans l'ombre, a
mis à notre disposition les moyens nécessaires. » (Thomas Mann à Hermann Hesse)
Citation — traduite de l'allemand — de Thomas Mann: Briefe Bd. 2 (S. Fischer Verlag, Frankfurt a. M., 1973).
b
« M'autorisez-vous à táter le terrain auprés de Thomas Mann sur l'opportunité d'entreprendre
quelque chose pour la pensée allemande, dans la ligne dont vous m'avez parlé? Plus j'y
pense, plus je crois qu'il est la seule téte qui puisse assurer à une action de ce genre une
ferme orientation. Maintenant que Bermann-Fischer a émigré, il pourrait y avoir quelque
chose à combiner avec lui. La táche d'une revue est beaucoup facilitée si elle peut s'appuyer
sur une maison d'édition qui se charge de la cuisine commerciale et qui dispose de sérieux
moyens de diffusion ».
Lettre inédite de Jean Schlumberger à Aline Mayrisch, 24 décembre 1936. Bibliothéque littéraire Jacques Doucet,
Paris.
Mme Mayrisch et Robert Musil
Lorsqu'en 1938 Robert Musil, l'auteur de L'Homme sans qualités (Der Mann ohne Eigen-
schaften) pense à quitter l'Autriche envahie par les nazis, Thomas Mann a une entrevue avec
Mme Mayrisch, qui se déclare préte non seulement à aider financiérement l'écrivain autri-
chien, mais à lui offrir un asile temporaire à Colpach. « Elle se préoccupe réellement de ce
30)
cas et fera certainement tout ce qui est en son pouvoir, bien qu'elle soit déjà trés sollicitée »,
écrit Thomas Mann.
Citation extraite de Thomas Mann: Briefwechsel mit seinem Verleger Gottfried Bermann-Fischer, 1932-1955
(S. Fischer Verlag, Frankfurt a. M., 1973).
Les activités littéraires de Mme Mayrisch
En plus de ses articles sur la littérature et sur l'art, Aline Mayrisch - de Saint-Hubert a écrit
Paysages de la trentième année, qui, sous le pseudonyme d'Alain Desportes, ont paru en
1911 dans La Nouvelle Revue Française.
D’apres Andre Gide, les membres du comite de redaction, auxquels il a lu ce texte, etaient
« enchantés ! et stupéfaits quand au dernier moment je leur ai nommé l'auteur !»
Intermediaire entre deux cultures
Mme Mayrisch a revu une traduction allemande des Caves du Vatican de Gide et aide ce
dernier à traduire en français certaines pages de R. M. Rilke.
Au cours des dix dernières années de sa vie, elle s'est consacrée à traduire en français, avec
l’aide de B. Groethuysen, des textes du mystique allemand Maître Eckart. Sa traduction de
Telle était sœur Katrei (traité et sermons) a été publiée par Les Cahiers du Sud, documents
spirituels, No 9, 1954.
« Son róle le plus important en plus de l'assistance diligente qu'elle apportait à maints écri-
vains et artistes a plutôt été d'intermédiaire entre les deux cultures francaise et germanique. »
Andre Gide
31
Preoccupations spirituelles
« Detachee de toute religion dogmatique mais non pas de preoccupations metaphysiques,
elle [Mme Mayrisch] souhaitait entrevoir (...) comment la sagesse orientale a essayé de ré-
soudre les problèmes spirituels. À cet égard, elle se sentit particulièrement attirée par la doc-
trine Zen, où une élite japonaise trouve le secret du recueillement et de la paix intérieure. »
Jean Schlumberger
Mme Mayrisch a fait des voyages en Chine (1930) et au Japon (1935).
An.
Vers la fin de sa vie, c’est le mystique allemand Maitre Eckart qui la préoccupe. « Une áme
profondément religieuse, mais qui n'a pu adhérer à aucun credo ni se sentir protégée d'au-
cune église, a éprouvé ici le vertige méme du divin et s'est laissé emporter par lui vers
les sommets où les choses recomposent leur ineffable unité, seul lieu où elle put trouver son
repos. » Marie Delcourt
«... je suis depuis trois mois plongée dans la même déroute devant l’insondable mystère de
. / A . 9 . / . / . X
notre destinée et dans le même effroi de ce que l'existence a de profondément irréductible à
toute compréhension raisonnante. Littéralement je suis devenue une autre
An
Combien heureux ceux que guide une foi appuyee sur une revelation — pour moi je sens
que tous les ponts sont coupes entre ma conscience d’aujourd’hui et mon enfance catho-
lique — ce qui n'empéche pas que j'aie rejeté comme une dépouille absurde le rationalisme
de ma jeunesse. »
Lettre inédite d’Aline Mayrisch à Agnés Copeau, 7 juin 1928. Archives Marie-Héléne Dasté
Hommage à Mme Mayrisch
«Sa grande ceuvre originale a ete de creer une atmosphere de serenite dans son entourage
sans qu'elle füt sereine et d'y installer le bonheur sans qu'elle fát heureuse.» |
Annette Kolb
« Entre cent elle avait le don de reconnaitre le pauvre, le souffrant, le canard boiteux. Elle, si
pourvue de tout, voilà qui était étrange. (. ..) Quoiqu'elle ait connu des centaines et des cen-
taines de personnes dans sa vie, tout ami était secrètement fier d’avoir été ‘distingué’ par elle.
C'était une facon de bon certificat, refuse par contre à des hommes pourtant célébres. D'elle
plus que de personne jaime me dire ‘nous avons été amis’. »
Henri Michaux
27
La Messuguiere I
Déjà avant la guerre de 1914, les Mayrisch possédent une propriété dans le Midi, à Bormes
(Var) oü ils séjournent souvent.
En 1938, Mme Mayrisch achéte à Cabris (Alpes-Maritimes) un terrain et y fait construire une
maison qu’elle appellera La Messuguière, parce que le messugue, c'est-à-dire le cyste y proli-
fère.
Elle s’y réfugie en 1940 pour y rester jusqu’en 1944. Elle y mourra le 20 janvier 1947.
Pendant la guerre, elle y accueille ses amis Andre Gide, Jean Schlumberger, Roger Martin
du Gard, Gaston Gallimard, Marie Delcourt, Alexis Curvers, Henri Michaux, Andre Malraux.
Mme van Rysselberghe habite la villa Les Audides non loin de La Messuguière.
La Messuguiere II
Aprés la mort de Mme Mayrisch, La Messuguiére devient, gráce à Mme Andrée Viénot-
Mayrisch, une maison de repos pour travailleurs intellectuels.
« Retraite propice au repos, à la contemplation et au travail de l'esprit comme à ses délasse-
ments », dit Charles Vildrac, qui a figuré parmi les hótes de méme que les écrivains Marcel
Arland. Yves Bonnefoy, Marc Chadourne, Clara Malraux, Jules Supervielle, le philosophe
Lucien Goldmann, le sociologue Georges Friedmann, les prix Nobel André Lwoff et Laurent
Schwartz, le groupe de mathématiciens francais Bourbaki, l'homme politique Jules Moch,
etc.
PE
Le tombeau des Mayrisch
Emile et Aline Mayrisch sont enterres dans le parc de leur chäteau de Colpach, le tombeau
ayant été aménagé d'aprés les plans de l'architecte frangais Auguste Perret.
Derriére la dalle funéraire est placé un bronze de Despiau: L'Homme qui va se lever.
Non loin du tombeau, sous les arbres du parc, se dresse Le Centaure mourant, un grand
bronze de Bourdelle.
« Je vous imagine mieux maintenant dans votre jardin de France, que vous devez aimer sans
doute autant que j'aime ce parc de Colpach, où nous avons enterré notre patron sous les
grands arbres. Les oiseaux survolent sa tombe, les petits lièvres viennent se cacher dans les
fleurs, et les nichées éclosent dans les quatre lauriers qui marquent le caveau où il repose.
Perret me dessine un monument trés simple — une dalle horizontale — et j'espère trouver
plus tard une ceuvre d'art à y placer.»
Lettre inédite d’Aline Mayrisch ä Agnes Copeau, 7 juin 1928. Archives Marie-Helene Daste.
24
Le tombeau
des Mayrisch
parc de Colpach
Aristide Maillol
Pomone
parc de Colpach
L'oeuvre sociale des Mayrisch I
Émile Mayrisch a, par une série de mesures, cherché à améliorer la condition des ouvriers. Il
a créé deux écoles en forét pour les enfants de santé délicate. Sa demeure de Dudelange a
été, aprés son départ, transformée en maison pour enfants menacés d'infection tuberculeuse.
Mecene des Associations pour l'éducation populaire et présidente de l'Association pour la
défense des intéréts de la femme, Mme Mayrisch a, par ses interventions auprés des autorités,
contribué efficacement à la fondation du premier lycée de jeunes filles au Grand-Duché.
L’ceuvre sociale des Mayrisch II
Emile Mayrisch a été l'un des fondateurs de la Croix-Rouge luxembourgeoise. Et lui comme
son épouse n'ont cessé de développer cette institution philanthropique.
Ils ont pareillement soutenu la Ligue contre la tuberculose. À leur initiative, la Croix-Rouge
a construit à Luxembourg la Maternité Grande-Duchesse Charlotte. Par testament, Mme
Mayrisch a donné son cháteau et son domaine de Colpach à la Croix-Rouge qui en a fait un
lieu de repos pour convalescents.
37
Andree Vienot-Mayrisch
Pierre Vienot
Pierre Vienot
Né à Clermont (Oise), Pierre Viénot (1897-1944), qui épousera Andrée Mayrisch en 1929, est
au début des années vingt attaché au cabinet civil du maréchal Lyautey au Maroc. De 1926 à
1930, il dirige le bureau berlinois du Comité franco-allemand. Rentré en France, il est élu
député de Rocroi. Léon Blum fait de lui un sous-secrétaire d'État aux affaires étrangéres dans
le gouvernement de Front populaire. En 1940, au moment de l’armistice, il part pour
l'Afrique du Nord, oü il veut continuer le combat. Revenu en France, il est arrété et
condamné par Vichy à huit ans de prison avec sursis. En 1943, il rejoint à Londres le général
de Gaulle, qui le nomme ambassadeur de la France libre auprés du gouvernement britan-
nique. Il meurt à l'aube de la Libération.
Andree Vienot-Mayrisch
La fille unique des Mayrisch, Andrée (1901-1976), est trés tót mise en contact avec le monde
des ouvriers et se sent, dés sa jeunesse, attirée par les idées socialistes. Le milieu international
de Colpach lui fait connaitre, à un niveau élevé, les grands problémes politiques. En 1929,
elle épouse Pierre Viénot, qu'elle a rencontré à Pontigny et dont elle devient la collaboratrice
discrète. Après la deuxième guerre mondiale, elle est élue député des Ardennes et nommée à
deux reprises sous-secrétaire d'État. Elle exerce pendant une vingtaine d'années (1945-1964)
les fonctions de conseiller général du canton de Rocroi et est maire de Rocroi depuis 1953
jusqu'à sa mort.
4f
Photographies exposees
1 Emile Mayrisch (1862-1928) par Theo van Rysselberghe (detail)
2 Aline Mayrisch-de Saint-Hubert (1874-1947)
3 Vue de Dudelange
4 Vue de l'Usine de Dudelange
5 Ouvriers d’usine
6 Mme van Rysselberghe (1866-1959) par Theo van Rysselberghe
7 Andre Gide (1869-1951) par Theo van Rysselberghe
8 Rainer Maria Rilke (1875-1926) par Clara Westhoff
9 La maison des Mayrisch à Dudelange
10 Le chäteau de Colpach
A
11 a) Walther Rathenau (1867-1922)
b) Otto Bartning (1883-1959)
c) Hermann von Keyserling (1880-1946)
d) Paul Claudel (1868-1955)
e) Henri Gheon (1875-1944)
f) Paul Desjardins (1859-1940)
12 Jean Schlumberger (1877-1968)
13 Jacques Riviere (1886-1925)
14 Ernst Robert Curtius (1886-1956)
15 Andre Gide et Bernard Groethuysen (1880-1946)
16 Mme Mayrisch a Pontigny
17 Joseph Hackin (1886-1941)
18 Marie Delcourt (1891-1979)
19 Annette Kolb (1875-1967)
20 Jacques Copeau (1879-1949)
21 Jules Delacre (1882-1945) par Anto-Carte
41
22 Émile Mayrisch à Génes
23 Membres du Comite franco-allemand d’Information et de Documentation
a) Charles Laurent
b) Emile Mayrisch (1862-1928)
c) Wladimir d’Ormesson (1888-1973)
d) Alfred von Nostitz-Wallwitz (1870-1953)
24 Membres du Comite franco-allemand d’Information et de Documentation
a) Pierre Vienot (1897-1944)
b) Andre Siegfried (1875-1959)
c) Le duc Maurice de Broglie (1875-1934)
d) Mgr. Christian Schreiber (1872-1933)
25 Émile Mayrisch à l'usine
26 Émile Mayrisch à sa table de travail
27 Le siége social de l'Arbed à Luxembourg
28 Le bureau d'Émile Mayrisch à l'Arbed
29 Louise Weiss
«Re
a ’
30 Richard Coudenhove-Kalergi (1894-1972)
31 Le lac inférieur du barrage de l'Our (Vianden)
32 Sidmar (Gand)
33 Les funerailles d’Emile Mayrisch I
34 Les funérailles d'Émile Mayrisch II
35 Thomas Mann (1875-1955)
36 a) Robert Musil (1880-1942)
b) Joseph Breitbach (1903-1980)
37 Couvertures de L’Art Moderne — La Nouvelle Revue Française — Hermès — Mass
und Wert
38 Aline Mayrisch (1874-1947)
39 Aline Mayrisch (1874-1947)
40 Henri Michaux (1899)
47)
41 La villa des Mayrisch à Bormes (Var)
42 La Messuguiére à Cabris (Alpes-Maritimes)
43 Le Centaure mourant par Bourdelle (parc de Colpach)
44 Le tombeau des Mayrisch (parc de Colpach)
45 L'Homme qui va se lever par Despiau (parc de Colpach)
46 La Maternité Grande-Duchesse Charlotte à Luxembourg
47 La Fondation Mayrisch à Colpach
48 Pierre Vienot (1897-1944)
49 Andree Vienot-Mayrisch (1901-1976)
La carte géographique du Grand-Duché de Luxembourg (entre les photos 2 et 3) a été des-
siné par Jean Henzig.
Provenance des photos :
Archives de l'Arbed, Luxembourg: 5, 22, 23», 25, 26, 28, 33, 34,
Archives de Pontigny-Cerisy : 16 ;
Archives de l'État, Luxembourg : 4
Archives de la famille Viénot-Mayrisch : 2, 15, 24», 38, 39, 44, 48, 49;
Archives de la famille von Nostitz : 234;
Bischôfliches Ordinariat, Berlin : 244 :
Brassai, numéro spécial de L'Herne consacré à Henri Michaux 1966 : 40 :
Bundesbildstelle, Bonn : 11<, 14 ;
Harcourt, Paris : 29 -
Harlingue-Viollet, Paris: 11%, 114, 20, 234, 23«, 245, 24« ;
Lipnitzki-Viollet, Paris : 12;
Réunion des Musées Nationaux de France, Paris : 17 :
Marcel Schroeder, Luxembourg : 1, 3, 6, 9, 10, 27, 31, 32, 41, 42, 43, 45, 46, 47 ;
Stadtbibliothek (Handschriftenabteilung), München : 19 ;
Edward Steichen, New York : 35.
Les organisateurs remercient toutes les personnes et toutes les institutions qui ont mis des
photos ä leur disposition.
4°
Les Mayrisch et l’art moderne
Dès le début de notre siècle, les Mayrisch se sont entourés d’ceuvres dues a des artistes
modernes.
Ils ont acquis notamment des tableaux de Pierre Bonnard, Henri-Edmond Cross, Maurice
Denis, Henri Matisse, Ker-Xavier Roussel, Paul Signac, Theo van Rysselberghe, Edouard
Vuillard et des sculptures de Bourdelle, Despiau, Kolbe, Maillol, Rodin.
Une partie de ces œuvres est ici exposée.
Sauf indication contraire, elles appartiennent aujourd'hui à la Croix-Rouge luxembourgeoise,
à laquelle Mme Viénot les a léguées.
En 1937, Mme Mayrisch a d'autre part aidé les Associations d'éducation populaire à organi-
ser à Luxembourg la première grande exposition de Peinture française contemporaire (de-
puis Manet).
44
Emile Mayrisch par Theo van Rysselberghe
(Euvres d’art exposees
Sauf indication contraire, toutes ces ceuvres appartiennent ä la Croix-Rouge luxem-
bourgeoise
Henri-Edmond CROSS (1856-1910)
Fillette à la veste rouge
Huile sur toile, 101 x 81 cm
Maurice DENIS (1870-1943)
La Danse d’Alceste, 1904
Huile sur toile, 80,5 x 130,5 cm
Theo van RYSSELBERGHE (1862-1926)
La Pointe de Saint-Pierre à Saint-Tropez, 1896
Huile sur toile 76,5 x 97 cm
Portrait de femme, 1898
Y
4
Huile sur toile, 117 x 73 cm
Musee d’Histoire et d’Art, Luxembourg
Portrait d’Emile Mayrisch, 1912
Huile sur toile, 144 x 95 cm
+
Portrait d’Andree Mayrisch, 1913
Huile sur toile, 114 x 76 cm
Portrait d’Andree Mayrisch, 1913
Huile sur toile ovale, 65,5 x 51,5 cm
Succession de Mme Andree Vienot-Mayrisch
8
4
10
Jardin à Bormes, 1916
Huile sur toile, 54,5 x 69 cm
Aquarium I. 1917
Huile sur toile, 33
X 41 cm
Aquarium II, 1917
Huile sur toile, 33 x 41 cm
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Théo van Rysselberghe — La pointe de Saint-Pierre à Saint-Tropez
~
11
Nature morte aux poissons mauves
Huile sur toile, 44,5 x 52,5 cm
12
Portrait d’Emile Mayrisch, 1920
Huile sur toile, 61,5 x 50 cm
13
Emile Verhaeren ä la veste rouge, 1904
Eau-forte en couleurs, 44,2 x 22,2 cm
Aristide MAILLOL (1861-1944)
14
15
Pomone, 1910
Bronze, h. 162 cm
Auguste RODIN (1840-1917)
L’Age d'airain, 1877
Bronze, h. 64 cm
Théo van RYSSELBERGHE (1862-1926)
16
Buste d’Andre Gide
Bronze, h. 30,5 cm
17
Buste d’Emile Mayrisch
Bronze, h. 51 cm
Les photographies de la partie francaise de ce catalogue sont dues
aux Archives de la famille Vienot-Mayrisch : pp. 31, 35;
aux Archives de la famille von Nostitz : p. 23 (v. Nostitz) ;
à M. André Berne-Joffroy, Paris: p. 19 (Groethuysen) ;
à M. Albert Biwer, Luxembourg : p. 39 ;
à M. Harlingue-Viollet, Paris : pp. 17 (Riviére), 23 (d'Ormesson);
à M. Lipnitzki-Viollet, Paris : p. 17 (Schlumberger) ;
à M. Roger-Viollet, Paris : p. 19 (Paulhan) ;
à M. Marcel Schroeder, Luxembourg : pp. 9, 11, 14, 32.
49
Sur la couverture : Antoine Bourdelle — Le Centaure mourant. Parc de Colpach