revenir à la peinture. C'est avec des yeux émerveillés qu'elle découvre l'exposition de Bonnard organisée à la Galerie Bernheim- Jeune quel- ques mois aprés son arrivée. Elle est surtout retenue par les grandes nappes à petits carreaux et les étranges distorsions de plans, les bizarres perspectives que le peintre réalise sans avoir l'air d'y toucher. Selon l'usage, elle fait un voyage en Italie et elle est profondément concernée par les maitres de l'école siennoise. Elle découvre chez eux une cons- truction de l'espace, une conception forte, une dialectique de la couleur dont elle se sent trés proche et qui vont l'aider à prendre conscience de ce qu'elle cherche. Mais avant de découvrir son cheminement, il lui reste encore un autre voyage à faire. Avec le peintre d'origine hon- groise Arpad Szenes qu'elle vient d'épouser, elle visite Marseille. La grande surprise sera le célébre pont transbordeur de Marseille qui lançait ses fines résilles d'acier dans le ciel. En quelque sorte, elle a la révélation du graphisme. Les études se suivent. La superstructure du monument est sans cesse reprise, remaniée, simplifiée jusqu'à devenir une grille qui lui permet d'organiser, autour des tracés qui la précisent, de grands plans de couleur et un espace ambigu. Un pas décisif est franchi. Jamais plus l'envoütement de la ligne fluide, étirée ou acérée n’abandonnera son destin. Elle vient à n'en pas douter de prendre conscience de l’un des moyens de son investigation du monde. (. . .) Vieira da Silva a su découvrir un espace mouvant qui entre- tient des rapports avec la caméra. À travers, bien sûr, des équivalents plastiques, comme un cinéaste elle utilise la plongée, la contre-plongée, le fondu enchaîné, le flash back. Ainsi dans ses tableaux l’espace créé peut perdre son unité. Il se gonfle, puis tout à coup se rétrécit avant peut-être de basculer. Ici, il gagne une dimension qui lui est refusée ailleurs. Quelquefois, il se transforme en véritable cauchemar provo- qué par le vide ou la peur. Quelquefois encore il trouve un équilibre instable et unique entre l’angoisse jaillissante et la sérénité durement conquise. Le monde décrit n’a plus pour caractéristique la stabilité: là il est en mouvement, tout comme se déplace l'oeil qui le regarde. ( . . .) Ainsi commence un voyage fabuleux dans les labyrinthes du temps, dans des grottes anciennes, des couloirs nouveaux, dans des forêts pétrifiées depuis des milliers d'années, des villes aléatoires sur le point d'étre édifiées, ensablées dans la nuit, illuminées ce soir, ouvertes demain, fermées ou démantelées à l'instant.