TEXTES DE PIGNON «Lorsque j'étais dans le Midi, aux environs de 1952, je me disais toujours: il faut retrouver un espace. Quand on l'aura retrouvé, on pourra y mettre tout ce que l'on voudra... Je continuais à réver de cet espace oü faire entrer des formes chargées de vie. Et je me suis mis à prendre mes thémes directement dans la nature, des hommes dans les champs, des paysages avec des collines qui se dessinaient sur le ciel, tout ce travail qui allait me conduire aux oliviers... . . . Dés que j'ai eu la sensation qu'il fallait détruire la distance entre le spectateur et le spectacle, je me suis moi-même situé dans le spectacle. Il fallait presque que je sois, pour travailler, dans l’olivier. Dans un tronc.» La quéte de la réalité, p. 70, 79 «J'étais en plein milieu, dans la poussiére de paille, de cinq heures du matin à une heure de l'aprés-midi, mort de soleil, et dessinant à la vitesse des hommss, dévorant les mouve- ments additionnés, si incorporé à cet ensemble délirant de bruit, de sensations et de mouve- ment que quand je m'arrétais, j'avais la sensation de tomber dans un trou... Le battage comprend aussi ces cris, ce tumulte, cette chaleur. D'ailleurs c'est ce tumulte que je voulais faire, ce brouhaha. Je voulais mettre de l'ordre dans un désordre absolu. Quel intérét y a-t-il à organiser une forme qui l'est déjà? Mais organiser un désordre, une multiplicité de formes, de couleurs et d'idées, c'est cela qui est passionnant. S'il n'y avait que désordre, il n'y aurait pas de toile, il n'y aurait pas d'oeuvre. Tout le probléme, c'est l'unité de l'oeuvre qui en fait la vitalité... C'est la conquéte de l'unité dans la multiplicité. La toile, il faut la saisir et la ressaisir constamment, parce qu'elle s'échappe toujours.» «J’ai besoin de rester des heures et des jours au milieu des plongeurs et moi-méme dans la mer, et moi-méme plongeant, et debout au pied du plongeoir à regarder un saut aprés l'autre, dans une vague aprés l'autre, j'ai besoin de m'imprégner du rythme entre les choses, de la complexité des formes. Et dans mes toiles je mettrai tout cela, tous les dessins à la fois, toutes les impressions d'oü les dessins sont nés. Ce n'est pas une synthése. C'est une démultiplication.» La quéte de la réalité, p. 173, 176 «Tout c2 que je veux, c'est créer un monde. Et chaque tableau est un monde en lui- même. Cela ne veut pas dire qu’il est fermé. Il s’ouvre. Tout dogmatisme le tue. Et toute affirmation perpétuelle de soi-méme. . . Il faut trouver la liberté de se laisser aller à toutes les tentatives, sans jamais se laisser retenir par rien. On pourra alors accéder à un autre visage, le visage de notre temps.» La quéte de la réalité, p. 154